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Par Abdelaziz Gatri: Doit-on se laver les mains de Kaïs Saïed ?

Par Abdelaziz Gatri: Doit-on se laver les mains de Kaïs Saïed ?

J’avais appelé le peuple depuis le 5 mai dernier à se soulever contre l’oligarchie formée de partis que seuls les intérêts, la corruption et le terrorisme réunissent. Je fus dans la rue maintes fois, dès le 6 février, et  jusqu’au 25 juillet de l’année passée, bravant les intempéries d’abord, la canicule ensuite, et la répression tous azimuts des forces de l’ordre commandées par  Mechichi depuis la suite royale qu’il squattait dans le plus luxueux des hôtels de Hammamet. J’avais réclamé sans ambages le renversement du gouvernement de Nahdha, la dissolution du parlement et la réorganisation des pouvoirs en vue du sauvetage du pays. Quelques minutes avant les mesures prises par le président Saïed ce soir du 25 juillet, j’étais à la télé pour appeler à refuser tout dialogue avec les traîtres et les corrompus. Aussitôt après, je suis encore descendu dans la rue pour saluer ces mesures, pensant sincèrement que le président disposait d’un plan d’action pour la suite, lui qui n’arrêtait pas de parler de batteries de missiles prêts à l’envoi. De retour chez moi, après une journée harassante, j’avais enregistré une vidéo dans laquelle je l’exhortais à aller de l’avant, à ne pas s’arrêter en si bon chemin, et à parachever son coup d’éclat, en frappant le fer tant qu’il était chaud, en mettant les malfaiteurs hors d’état de nuire tant qu’ils étaient K.O, et en désignant un chef de gouvernement, femme ou homme de poigne, au caractère bien trempé, capable de tenir la barre du pays à la dérive pour le reste de la législature.

Malheureusement, il n’en fut rien.

De tergiversations en atermoiements, Saïed ne voulait en faire qu’à sa tête : suspension de la constitution qu’il a juré de respecter sur le coran, gel du parlement avec pour seule alternative l’accaparement par lui de la charge législative par ordonnances, dissolution du CSM et accaparement de ses attributions après s’être octroyé celles du ministère public, dissolution de l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi ans alternative, interdiction aux citoyens de tout recours contre ses ordonnances, fermeture de l’INLUCC et renvoi de son président et de ses employés, limogeages en veux-tu en voilà, c’est-à-dire tout, sauf la construction.

Notre président n’entend que ce qu’il veut entendre. Seuls ceux qui se soumettent à son diktat, le caressent dans le sens du poil et défendent ses dérives vaille que vaille trouvent grâce à ses yeux. Toute les voix appelant sans détours à plus de réalisme et de sagesse ont été diabolisées. Le président est même allé jusqu’à accuser ceux qui lui ont apporté leur soutien le 25, sans approuver la suite, d’être simplement des opportunistes déçus de ne pas avoir bénéficié de ses largesses et de ses nominations.

D’une attitude belliqueuse et inconséquente, il décide le 14 octobre 2021, en plein conseil ministériel, de retirer son passeport à un ancien président et somme sa ministre de la justice de le poursuivre pour complot contre la sûreté de l’Etat, le livrant ainsi à la vindicte populaire et à la merci des juges. Un procès expéditif digne des pires heures de la dictature fut instruit et jugé en deux mois, condamnant le « méchant loup » à quatre ans de prison ferme, échappant ainsi de peu à la potence par rapport à la gravité de l’accusation. Et le président de crier à qui veut l’entendre ici et ailleurs qu’il n’interfère aucunement dans les affaires de la justice.

Ceux qui l’exhortaient d’adopter une roadmap pour la période à venir ont été renvoyés par le président à leurs livres de géographie. Mais, pliant sous les pressions de l’étranger, il s’est fendu d’une feuille de route dont les échéances ont été établies de manière cavalière, non pas selon ce qu’exige chaque étape en temps et en travail, mais selon des dates prises de manière aléatoire : le 20 mars, le 25 juillet, le 17 décembre.

Alors que la bête était chancelante et n’attendait que le coup de grâce qui tardait à venir, il s’est dépensé en descentes et perquisitions filmées à la Hollywood, avec mise en scène et force drones (interdits au bon peuple), s’est offert quelques bains de foule et quelques sorties médiatiques improvisées. Entretemps, la secte, après avoir fait le dos rond un moment et laissé passer l’orage, s’est relevée, reprit du poil de la bête. Telles des mouches tournoyant autour du fumier, les Bouagila, M’barek, la Chaouachi et la Zoghlami, les deux Chebbi, Elloumi et toute la smala de charognards en quête de carcasse à désosser ont repris du service autour du gourou de la secte terroriste, à la faveur de la léthargie présidentielle. Ils ont même rameuté un vieux perspectiviste sénile et un ancien conseiller du président pour les besoins de la cause. On n’est jamais trahi que par les siens.

C’est dire la perspicacité de Saïed dans le choix de ses collaborateurs, perspicacité avérée dans la désignation de Fakhfakh, Mechichi et Bouden chefs de gouvernement successifs, d’Akacha directeur du cabinet présidentiel et de quelques gouverneurs qui confondent culture et culturisme.

La question économique et financière a été superbement écartée des soucis présidentiels. Pire, comme pour rendre la tâche impossible à sa cheffe du gouvernement, il n’a pas cessé de lancer ses fléchettes à nos partenaires étrangers et aux instances financières internationales que nous sommes obligés de solliciter pour combler notre gigantesque déficit budgétaire.

Entretemps, le cours du baril de pétrole est à plus de 100$, alors que notre budget est établi sur la base d’un baril à 75$. Il en est de même de la majorité des produits de première nécessité, ce qui ne manquera pas d’aggraver dangereusement nos déficits (budget, balance commerciale, balance des paiements), d’augmenter vertigineusement leur prix, de grever le pouvoir d’achat des classes défavorisées, de réduire à la pauvreté les classes moyennes  et d’exposer le pays à de graves mouvements sociaux et à de réelles menaces sur sa souveraineté financière et économique.

La nonchalance de Kaïs Saïed, son ordre inversé des priorités, son attitude agressive vis-à-vis de tout avis contraire ont fini par désespérer les plus enthousiastes de ceux qui ont salué le 25 juillet et à l’isoler tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Un pan entier du mur de proches conseillers qu’il s’est construit est tombé avec les départs de Bettaïeb, Bettbib, Akacha… et les bruits courent que Bouden est sur le point de lâcher. Seuls quelques irréductibles, venant d’horizons aussi farfelus que contradictoires, et dont lui-même dit qu’ils ne parlent pas en son nom, continuent encore à promouvoir son projet de démocratie populaire à la Kadhafi.

Jusqu’à quand l’Etat tiendra-t-il face à tant de chaos improductif ?

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