Economie

Par H. Sraïeb – La maladie chronique du système bancaire: les créances douteuses !

Par H. Sraïeb – La maladie chronique du système bancaire: les créances douteuses !

En Tunisie, les réformes structurelles ont débuté dès 1986 (ajustement structurel du FMI). Les organisations internationales n’ont eu de cesse, depuis lors, de faire pression sur les autorités tunisiennes pour remettre à plat le système bancaire et, de façon plus générale, le système financier. Les autorités ont de fait enchainé loi bancaire sur loi bancaire et leur révision périodique (près d’une circulaire tous les six mois de la BCT) sans jamais venir à bout de mécanismes invisibles qui engendrent à intervalles réguliers une nouvelle crise. Fait notable, les déficiences cycliques du secteur bancaire restent inchangées, avant comme après la chute du régime honni, identiques dans leur contenu et manifestation. Elles résultent toutes, à quelques variations près, d’un déterminant majeur :

Le poids des créances classées, dites aussi douteuses ou encore NPL (Non Performing Loans).

Plus précisément, un taux de créances classées par rapport aux engagements de crédit qui oscille, en période d’accalmie autour de 13%, puis en période de tension au voisinage de 17%. Jamais donc plus bas mais en revanche périodiquement plus haut, à près de de 20% (2014). La norme critique établie dans la profession se situe à 7%. Jamais donc le système bancaire n’a réussi à atteindre ce niveau, pas même à s’en rapprocher de manière significative. Pourquoi ? Les banquiers tunisiens seraient-ils moins bons que leurs homologues des pays les plus évolués ? Comment se fait-il qu’après la recapitalisation partielle des grandes banques publiques de 2014-2015 (1 milliard TND financé par le budget) censée assainir durablement le bilan des banques le niveau de dettes classées global, revienne à son niveau le plus haut en à peine 5 ans ?

La faute, crie à l’unisson, les chantres inconditionnels du privé, résulte du secteur bancaire public incapable de mettre en œuvre une gestion plus rigoureuse de sa politique de prêts. La preuve nous dit-on, la plus grande part des créances irrécouvrables (classe 4 : 12% du total des créances) revient aux banques publiques, dont le taux atteint 15,6% contre seulement 8,4% pour les banques privées. C’est tout de même masquer et faire l’impasse sur le fait que sur un total national de l’ordre de 12.5 Mds TND de créances classées (excusez du peu), 47% sont bien le fait du public, mais que les 53% autres résultent bien elles aussi des banques privées. De même si la couverture de ces créances douteuses donnent lieu à des provisions à hauteur de 69% pour le secteur public, le taux du secteur privé n’est guère meilleur à seulement 71% !

Trêve de polémique stérile, le poids excessif des créances classées est bien une constante récurrente à l’ensemble du secteur bancaire, et cela depuis l’origine et ce quelle qu’était le mode de gestion ! Mais alors comment expliquer la permanence de ce phénomène ?

 L’examen des étapes de la vie d’un crédit permet de saisir dans les détails tous les points d’arrimage où peut se constituer puis se perpétuer cette créance douteuse ! Cet examen porte sur l’étude de la demande et de la personnalité du demandeur, l’analyse des risques, la formulation de garanties, l’octroi et le suivi du crédit, puis enfin le remboursement, le provisionnement, et le recouvrement. Force est de constater qu’à chacune des étapes de l’existence de la créance, la relation banque – client, leurs comportements respectifs, les pratiques effectivement mises en oeuvre, s’émancipent de fait, du cycle normal d’un crédit, pour se transformer en création et en perpétuation de créances douteuses.

Comment cela est-il possible ? N’y aurait-il que des gestionnaires bancaires incompétents ou peu scrupuleux vis-à-vis de la réglementation en vigueur et des rappels à l’ordre réguliers de la BCT ?

A l’évidence, cette explication simpliste de « la mauvaise gestion bancaire » n’est pas crédible. C’est ailleurs qu’il faut chercher ; notamment en regard des contraintes tant politiques, que sociales et économiques qui pèsent sur ce secteur névralgique !

A tout centrer, -comme le font certains-, sur la législation bancaire, les modifications périodiques des règlements, les pratiques mêmes de supervision et de contrôle des banques, on évite d’identifier les modalités concrètes par lesquelles cette créance douteuse se créé et se reproduit inexorablement.

On est en réalité en présence d’un enchevêtrement d’intérêts et de relations de dépendance réciproque qui donnent la mesure du fonctionnement réel du système bancaire en dépit d’énormes pertes ! Une interdépendance, faite « d’accommodements et d’arrangements », entre des acteurs sans cesse renouvelée, même si cette modalité se paie au prix fort, à coups de renflouements par la BCT, ou bien encore, de restructuration bancaire tantôt par l’impôt tantôt par les fonds des bailleurs internationaux.

Car il est une constante que trop de nos experts oublient. Les entreprises tunisiennes publiques comme privées sont notoirement sous-capitalisées. De fait les entreprises se financent essentiellement par crédit sachant que les institutions bancaires (y compris la BCT) ont peu d’exigences. Explicitons !

Le processus de circulation du crédit (obtention – extinction) présente toutes les apparences de conformité mais dont les modalités effectives et concrètes s’en éloignent. Les banques tiennent d’emblée compte du statut et de la position sociale du demandeur. Elles fondent leur décision d’octroi (autrement dit la prise de risque) sur la documentation fournie qui insiste plus sur les garanties patrimoniales ou personnelles offertes que sur la viabilité effective du projet et sa capacité de remboursement. Il y a une surévaluation systématique des garanties et des hypothèques. Mais les banques en acceptent les augures. En cas d’incident, elles négocient un rééchelonnement, en cas d’insolvabilité, le système juridique prendra le relais (contentieux ou tribunaux). Dans tous les cas de figures, les banques intègrent le rôle du garant en dernier ressort: La banque centrale interviendra quelles que soient la banque, sa taille, son importance économique, et le poids de ses créances classées ; quitte à subir un rappel à l’ordre. Tant est si bien que les banques sont poussées à accepter sans limites les crédits aux entreprises (certes de manière sélective) anticipant qu’en cas de difficulté majeure, la banque centrale fournira la liquidité et évitera tout risque de mise en faillite. « La chaîne des dépendances est tellement étirée que plus personne n’apparaît responsable »[1].

A titre de conclusion provisoire et si l’on veut bien prendre un peu de recul et observer le fonctionnement du système bancaire sur le temps long, on constate une tendance à la répétition périodique de « crises de liquidité » résultant d’un surcroit de créances douteuses comparativement à une insuffisance des provisions, crises suivies comme il se doit par l’extinction d’une partie de ces créances. Une extinction réalisée au travers de divers artifices : Mise en sommeil dans des structures de recouvrement ou de défaisance (SGA société de gestion d’actifs), annulation auprès des tribunaux, renflouement des banques les plus exposées tantôt par apport d’argent frais de la banque centrale, tantôt par recapitalisation par apport d’argent public.

Resterait, -pour le moins-, à se poser une question essentielle: A qui profite cette extinction périodique de dettes ?

Hadi Sraïeb, Docteur d’Etat en économie du développement

[1] Ecrits autour de l’économie d’endettement de Béatrice Hibou, dont l’approche a inspiré ce papier

Que se passe-t-il en Tunisie?
Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!

Commentaires

Haut