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Par Hadi Sraïeb- L’irresponsabilité: Une seconde nature annonciatrice de lendemains qui déchantent !

Par Hadi Sraïeb- L’irresponsabilité: Une seconde nature annonciatrice de lendemains qui déchantent !

Il ne se passe plus un jour sans que ne survienne un sinistre, une calamité, un drame dont on perçoit aisément qu’ils ne doivent rien à la fatalité ou à un concours de circonstances malencontreuses !

Un nourrisson dans une boite en carton, les freins d’un bus qui lâchent, des personnes qui tombent en l’absence de couvercles de caniveau, un médecin qui chute dans une cage d’ascenseur ! La liste est bien trop longue.

Le trait commun de tous ces événements tragiques est la négligence coupable! Le laxisme éhonté tient lieu désormais de pratique tolérable ou pour le moins excusable

Ce qui vaut à l’échelle de la quotidienneté des citoyens, prend une tournure encore plus alarmante et grave s’agissant des institutions et de leur fonctionnement délétère. Toutes, publiques comme privées sont gangrénées par des pratiques désinvoltes, inconvenantes, pour ne pas dire effrontées et impudentes !

Mais que s’est-il donc passé, durant toutes ces années pour en arriver là ?

Il y a, -à coup sûr-, diverses manières d’aborder cette dégradation des mœurs, cette dérive des pratiques tant individuelles que collectives.

Certains y voient une permissivité excessive et incontrôlée après des années d’arbitraire et d’autoritarisme paralysants.

D’autres insistent sur les déconvenues et les désappointements propres à toute phase de transition. Il y a du vrai dans toutes ces tentatives d’explication.

La société tunisienne serait donc affectée par un devenir trop incertain, comme suspendu, qui induirait des comportements de fuite, de sauve-qui-peut, de préservation, quitte à franchir les limites du licite. L’approche sociologue apparaît comme pertinente !

A ceci près, que tous les comportements dont il est question ne sont pas cause mais conséquence d’une indétermination politique !

Le sens commun, lui ne s’y trompe pas: « Gouverner, c’est prévoir et servir la cité ». Ce prédicat a toujours été valable de tous temps et en tous lieux.

C’est donc du côté de la sphère politique et des forces qui la composent, et plus spécifiquement du côté de la conduite de l’Etat et des gouvernements successifs, qu’il convient de se tourner et de rechercher les causes profondes de ce malaise généralisé et de cette détérioration des liens sociaux.

C’est sans nul doute, dès l’origine du processus de rupture avec l’ancien régime et d’enclenchement simultané d’une transition politique qu’il importe d’approfondir l’analyse.

Notre faculté d’oubli est inéluctable !

Comme dit le dicton : « L’intensité de sentiment de nouveauté (les frasques de l’ARP) est proportionnel à la perte de mémoire (les turpitudes de la Troïka).

Les historiens s’attarderont sur ce premier instant plein d’enseignements ! Un moment historique fort de potentialités, de tendances en gestation !

Dès les tous premiers temps, la justice va cesser de fonctionner selon les normes attendues, l’Assemblée va accoucher d’une Constitution truffée de contradictions, les parlementaires vont accepter sans sourciller les lois de finances sans aucune reddition préalable des comptes, le gouvernement va faciliter la réinsertion de plusieurs dizaines de milliers de personnes, dans la fonction publique, au titre de réparations.

Toutes les dérives que nous connaissons aujourd’hui, sous une forme accentuée et aggravée, trouvent indubitablement leur origine dans ces premiers instants de la transition : Une conduite à l’identique des politiques publiques sans la moindre réforme, laissant filer les déficits et leur contrepartie l’endettement.

Une permissivité dans tous les domaines, inconnue jusque-là, laissant libre cours à toutes les formes de prévarication. Corruption, détournement, exaction, malversation, rapine, trafic d’influence, transgression, connaissent un essor sans précédent, dont aucun des gouvernements qui ont suivi n’a pu ou voulu éradiquer ou ,pour le moins contenir, dans les limites tolérables.

Tout se passe, depuis cet instant, comme si l’ordre économique et social était indépassable, immuable dans ses fondements comme dans ses attendus.

Un paradigme qu’il s’agirait de préserver et de consolider par la mise en œuvre de « réformes structurelles », et ce en dépit de contradictions immanentes qui n’ont cessé de s’amplifier et de s’exacerber au fil du temps.

Des contradictions qui vont finir par atteindre leur acmé en cette fin d’année 2020 !

A aucun moment et quelle qu’était la forme de gouvernement, aucune des dites réformes structurelles ne sera entamée.

Mieux, à chaque changement de configuration gouvernementale (le parti islamiste conserve toujours un rôle pivot), aucun bilan rétrospectif n’est établi, pas plus que n’est proposée une politique foncièrement différente de celles qui l’ont précédées.

La rhétorique macroéconomique analgésique et ressassée à souhait, ne varie que marginalement d’un gouvernement d’union nationale à un gouvernement de compétences.

De même au plan pratique, les choix retenus dans la conduite des politiques budgétaire comme monétaire ne s’écartent pas de l’orthodoxie dominante.

Des préconisations obstinées mais insensées de réduction de la fiscalité des entreprises et des couches aisées combinées à des mesures pusillanimes et soporifiques de neutralisation des tensions sociales… tout cela débouche en bout de course, sur une crise financière sans précédent de l’action publique.

Une gouvernance fétichiste, récurrente, à quelques détails près, jamais récusée par aucun des gouvernements politique ou technocratique.

Des choix discordants, renouvelés quasiment à l’identique, de séquence en séquence, mais sans jamais oser s’attaquer à la fraude fiscale grandissante (25% des recettes), à l’évasion continue mais silencieuse des capitaux (15% des recettes), et plus généralement au « sécessionnisme » de trop nombreux cols blancs !

De proche en proche, les liens sociaux vont se distancier aux limites de la dislocation de la cohésion nationale, sous les effets conjugués de ce mix politique obstination-abdication, continuellement répétés et des coups de boutoir incessants des corporatismes et des doléances régionalistes.

A l’aube de la nouvelle décennie, l’exacerbation des contradictions atteint un niveau paroxystique !

Toutes choses égales par ailleurs (compte non tenu des pertes abyssales et des créances irrécouvrables), il manque la bagatelle de près de 16 Mds DT (4 en local 12 en étranger) pour éviter le défaut de paiement de l’Etat souverain et maintenir à flot une économie déjà chancelante et malmenée de surcroît par la propagation de la pandémie. Au demeurant et sans la moindre réticence ni  le moindre état d’âme, une petite majorité de parlementaires a voté tous les articles de cette loi de finances comme s’il s’agissait d’une simple routine ordinaire! On croit rêver!

Un large spectre des parlementaires semble effectivement avoir perdu tout sens des réalités. Sont-ils victimes d’une crise hallucinatoire provisoire qui les conduit à imaginer que l’obtention entre 3 et 4 Mds € est encore dans l’ordre du possible ? Le doute est permis! L’objectif reste pourtant inatteignable!

Plus lucide mais tout aussi fébrile, le premier ministre a pris l’avion. A la tête d’une délégation des plus classiques, il envisage de faire le tour des capitales européennes susceptibles d’accepter un report du règlement des échéances dues de dettes bilatérales (autrement dit « hautement politiques ») au titre de l’année 2021.

A défaut encore, il pourrait accepter tout autre pis-aller ou échappatoire qui lui permettrait de traverser l’année sans trop d’encombres! Jamais les autorités de ce pays n’étaient tombées aussi bas !

Les prochaines semaines nous diront ce qu’il en est réellement.

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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