A la une

Par Hadi Sraïeb: Un nouveau gouvernement… mais avec quelles marges de manœuvre ?

Par Hadi Sraïeb: Un nouveau gouvernement… mais avec quelles marges de manœuvre ?

Il faut bien s’accorder sur un point: Le régime économique n’a pas changé pour l’essentiel ! Ces dimensions rentière, népotique, prévaricatrice, et pro-libérale sont toujours là ! On pourrait même affirmer que ces traits se sont largement accentués au fil du temps.

Il est tout aussi vrai, que les équilibres fragiles sur lesquelles reposait cette économie à deux vitesses se sont détériorés pour ne pas dire rompus, brisés !

A vrai dire, le point d’inflexion probable, à l’origine de la dérive récessive, se situe autour des années 2012-2014 durant les premiers gouvernements de transition.

Une période charnière caractérisée par « une fuite en avant » (qui perdurera) imprudente et pusillanime, face à la montée des mécontentements de tous ordres ! S’enclenche alors, une dangereuse spirale ! Les finances publiques sont mises à mal ! D’un côté, la titularisation de personnels précaires, la réintégration dans la fonction publique des victimes de l’ancien régime ainsi que d’autres formes d’indemnisation gérées sous la pression, ont engendré un accroissement sans précédent des dépenses publiques !

De l’autre côté, comme en contrepoids, les pouvoirs publics se sont vus alors contraints (baisse des recettes) de faire un appel massif à l’emprunt tant au plan national qu’extérieur tout à la fois pour couvrir ces nouvelles dépenses désormais incompressibles et assurer la continuité des engagements incombant à l’Etat (compensation, missions, développement) ! Une situation qui va devenir intenable !

Toutefois on ne peut réduire la sphère socio-économique, sa trajectoire comme ses contradictions internes, aux seules dimensions des politiques publiques (budgétaire et monétaire), même si celles-ci influencent concomitamment et en retour, son évolution.

C’est tout de même oublier que la non remise en  cause d’un fonctionnement de l’économie invariablement dicté par une logique corporatiste et libre-échangiste (commune à tous les gouvernements) a irrémédiablement résulté de proche en proche en un retournement de la conjoncture: résurgence de l’inflation, arrêt de l’investissement privé, creusement du déficit extérieur, décrochage de la devise nationale !

Symptôme paroxystique: Une nouvelle crise bancaire majeure marquée par l’explosion des créances irrécouvrables (dont on ne saura rien) !

Tout au long de ces premières années mais aussi au cours des suivantes aucune des demandes socioéconomiques pressantes n’a trouvé le moindre début d’une réponse. Celles-ci auraient exigé une réorientation complète de la politique économique ! Il n’en a rien été ! Le statu-quo ante a prévalu à quelques nuances près.

Le paradigme (le modèle) n’a en rien été modifié. Bien au contraire, précarité, sous-emploi, chômage se sont accrus, engendrant une flambée inédite de l’informel. Le déclassement des populations des régions de l’intérieur est resté, en l’état, inchangé, la pauvreté matérielle comme cultuelle ont gagné du terrain ! Trop de jeunes (comme de moins jeunes) ont pris le chemin de l’exil.

De fait, tout cela a fini par converger vers une aggravation continue des contradictions d’un mode de croissance et de développement déjà largement à bout de souffle. La crise est désormais généralisée !

S’avance alors, lentement mais surement l’idée de « réformes structurelles », concept-valise (fourre-tout) qui a toutes les apparences de la neutralité (politique) et de l’objectivité (unique solution rationnelle). Un prétendu pragmatisme qui occulte et masque en réalité des enjeux autour de curseurs de politique économique.

Des enjeux qui prennent habilement les noms de « reprise économique », d’« amélioration du climat des affaires » d’« assainissement des finances publiques », mais qui en réalité cache mal une logique de « Restauration » au sens plein du terme.

Des enjeux qui vont se jouer en termes de degrés  de réaménagement de la dépense publique et autres velléités austéritaires, auxquels pourrait possiblement consentir la population dans ses diverses composantes plus ou moins exposées ! Une affaire de curseurs, avons-nous dit, qui n’a rien de rationnelle, mais qui relève éminemment de choix politiques et incidemment de rapports de force, qui en rendent possible la mise en œuvre !

Où positionner le curseur en vue de reconstituer des marges de manœuvre suffisantes et créer les conditions d’une reprise de l’investissement privé. En d’autres termes, comment recréer les conditions générales d’une espérance de gains suffisante (la marge attendue) pour un secteur en désespérance !

Faut-il geler toute progression salariale ou réduire de manière globale mais différenciée les rémunérations au regard d’une inflation toujours pénalisante ? Faut-il licencier les dits sureffectifs ? Faut-il détricoter graduellement l’intégralité de la compensation ou maintenir des prix administrés pour les biens de première nécessité ? Quid de l’arbitrage entre une fiscalité toujours plus « compétitive » et inégalitaire et une fiscalité plus progressive et plus contributive à la satisfaction des besoins collectifs ? Convient-il de trouver de nouvelles recettes ou bien opter pour une sensible amputation des prestations sociales (couverture maladie et pensions) ?

Il n’aura, cependant, échappé à personne que les dites réformes structurelles font l’impasse sur des questions tout aussi cruciales.

Passe encore qu’aucune suggestion ne soit avancée pour réduire les fléaux du népotisme et la subornation qui rongent l’économie de l’intérieur ! Il est vrai, qu’il s’agit « d’impensés » pour l’essentiel des économistes trop occupé à manipuler des grandeurs pures et parfaites en vue de l’équilibre général ! Mais bien plus pathétique, le catalogue de mesures formelles ne dit pas un mot de la substance même de cette reprise attendue (retour à la croissance mais de quoi et pour qui ?). Quelles nouvelles orientations de politique énergétique, industrielle, agricole, de services à valeur ajoutée… un vide sidéral !

Au total, un ensemble de dispositions concoctées par la technostructure (haute administration centrale) en parfaite connivence et complicité avec les experts dévots du FMI. Une solution austéritaire qui vise une double finalité: assurer un retour à l’équilibre des finances publiques (aux forceps) en réaménageant le périmètre d’intervention de l’Etat, et restaurer les incontournables conditions générales de la profitabilité des entreprises, largement malmenées tout au long de ces années du fait des surenchères salariales et autres revendications sociales.

Un « réformisme austéritaire », donc, étriqué et décharné, mais partagé par nos élites économiques et managériales, et une large frange de dirigeants politiques, mais qui s’expose néanmoins à de vives réactions.

Il faut s’attendre au désaveu plus que probable de la centrale syndicale, avec son cortège de conflits et de grèves. Une opinion publique qui pourtant semblait y avoir été préparée par de multiples conférences, éditoriaux et prises de position diverses, jusqu’au moment, du coup de force fulgurant et inattendu de la Présidence.

Les cartes risquent, dès lors d’être rebattues et les priorités redéployées vers la société politique et ses turpitudes. Les institutions internationales semblent avoir pris acte et remis à plus tard « l’urgence impérieuse » de ces réformes. Mais alors que peut bien vouloir envisager et entreprendre le nouveau gouvernement sous la férule de la Présidence ? Un gel des prix et des salaires !

Un moratoire sur la dette et inviter les créanciers publics à faire preuve de mansuétude ? Une activation plus rapide des réalisations de projets sur des prêts affectés ?

Il est encore bien trop tôt pour tenter d’entrevoir les visées de ce futur gouvernement. Le contexte de virulence accrue de la pandémie, a redonné la priorité à la campagne de vaccination et au rééquipement matériel et renforcement humain des structures sanitaires et hospitalières éreintées par de trop nombreuses années d’oubli.

 

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

Que se passe-t-il en Tunisie?
Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!

Commentaires

Haut