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Par Hedi Ben Doua : Préalables à la mise en œuvre d’une politique régionale de développement

Par Hedi Ben Doua : Préalables à la mise en œuvre d’une politique régionale de développement

L’élaboration d’une politique régionale est liée à des considérations d’ordre patrimonial, financier et de pouvoir. Il s’agit de la décentralisation, du partage des pouvoirs entre les autorités centrales et les régions, la péréquation, et les valeurs d’option, d’existence et de legs des régions périphériques.

La décentralisation

L’examen de l’efficacité de la distribution spatiale renvoi à analyser l’opportunité d’une politique de décentralisation des activités privées ainsi que publiques. Par ailleurs ces activités revêtent trois dimensions, à savoir : les caractéristiques du bien ou du service ; les rendements d’échelle dans la production du bien ou du service ; ainsi que les externalités liées à la production ou consommation du bien ou service affectant d’autres biens ou services locaux ou d’autres régions. Lorsque la production d’un bien ou d’un service pour une qualité bien déterminée, obéit aux économies d’échelle, elle doit être centralisée, à moins que le bien ou service en question soit fourni à des prix différents. Aussi, un prix uniforme dans les différents lieux (par mesure d’équité) implique une allocation inefficace signalant ainsi aux usagers l’indifférence spatiale quant au coût de sa production. Paradoxalement, la production d’un bien standard, n’obéissant pas à la règle de rendement d’échelle et n’entrainant aucune externalité, peut faire l’objet d’une décentralisation. La production d’un bien standard obéissant aux rendements d’échelle peut être décentralisée si les unités locales sont assez grandes pour épuiser les rendements d’échelle. C’est le cas des grands pays, où la décentralisation peut se faire sans perte d’efficacité.  Une décision de décentralisation prend également en considération l’occurrence d’externalités interrégionales. En effet, si le bien standard ne convient pas aux diverses localités et qu’il est produit localement l’existence d’effets externes affecte d’autres régions (externalités interrégionales), rendant ainsi la décentralisation contre-indiquée. Les externalités intrarégionales concernent quant à elles les effets externes entre une activité candidate à la décentralisation et d’autres activités d’une même région. Ceteris paribus, les habitants locaux sont plus aptes à évaluer les externalités entre les productions et consommations locales. Il s’agit donc d’une justification de la décentralisation. Dans la réalité, les choses sont toutefois plus complexes. Par exemple, la fonction de production peut ne pas être fixe, mais susceptible d’être améliorée par la concurrence des unités locales (une forme d’entrepreneuriat public), de sorte que la décentralisation peut devenir la solution la plus efficace. Il en est de même de la diversité des préférences des citoyens (ces préférences sont difficiles à découvrir à partir du centre) à l’intérieur d’une région. Ces deux motifs additionnels de décentralisation (l’entrepreneuriat local et la meilleure connaissance des préférences locales) peuvent toutefois produire des interactions interrégionales négatives (et coûteuses), tel que des mouvements de population entrainant des excès de capacité et des goulots d’étranglement.

Ces inefficacités doivent alors être réduites par des efforts (coûteux également) de coordination à partir du centre. La politique régionale est alors engagée dans un arbitrage entre, d’une part, une meilleure adéquation entre la demande et l’offre ainsi que la possibilité de profiter du progrès technologique découlant potentiellement de l’entrepreneuriat local et, d’autre part, des coûts de coordination associés à la solution centralisée pour fournir la même qualité de services que la solution décentralisée. Il convient cependant de mentionner que la décentralisation n’a pas à arranger les éventuelles inefficacités liées au manque de compétences ou autres. Abstraction faite du critère d’équité, on peut s’attendre à ce que les deux solutions (centralisation et décentralisation) soient équivalentes si certaines conditions sont remplies et que les coûts attachés à ces conditions sont les mêmes. Généralement, les conditions plaidant en faveur de la centralisation sont :

  • Les économies dues aux rendements d’échelle ;
  • La possibilité de produire un bien standardisé satisfaisant ;
  • L’avantage d’avoir une masse critique au-dessous de laquelle le bien ne peut être produit ; et
  • La production et l’utilisation d’information tacite (rendue possible par l’agglomération humaine).

De ces avantages on doit soustraire :

  • Les coûts de l’information sur les préférences des citoyens ;
  • Les coûts de coordination de la production des différents biens publics ; et
  • Les coûts de contrôle des agents sujets au risque moral : le contrôle par le centre est difficile à cause de l’asymétrie d’information entre les agents locaux et le centre.

Parmi les conditions qui favorisent la décentralisation, notons :

  • La nécessité de fournir localement un bien non standard ;
  • L’absence de rendements à l’échelle dans la production du bien ;
  • Un rôle mineur pour la masse critique ;
  • De faibles coûts de transaction ;
  • Une concurrence locale vigoureuse entre producteurs de biens publics ;
  • La présence de ressources locales, d’infrastructures appropriées, etc. ;
  • L’absence d’externalités locales entre les différents biens ; et
  • La capacité de financer localement la production de biens, soit en vertu du principe de l’utilisateur-payeur, soit par la capacité d’être subventionné pour la production d’externalités positives ou taxé pour la production d’externalités négatives.

Finalement, dans tous les cas, il faut distinguer entre :

  1. Les espaces de planification de l’activité économique : villes, zone métropolitaine, sous-région, etc. ; et
  2. Les aires de gouvernance : municipalités, conseils régionaux, etc.

Cette distinction est utile pour aborder, par exemple, la question des fusions et « défusions » municipales, et en général le problème de la détermination du nombre et de l’aire des autorités locales. Ici, il y a deux écoles de pensée :

  1. L’approche des choix publics, où il y a multiplicité de gouvernements ou de villes dans un même espace géographique ; et
  2. L’approche de la ville monopolistique, où un seul gouvernement produit les différents biens et services publics.

Dans l’approche des choix publics, la gouvernance est décentralisée pour permettre la concurrence entre gouvernements dans la fourniture des services publics. Les services publics couverts sont ceux qui sont « décentralisables ». L’optimum « métropolitain » ou « provincial » est atteint en laissant à des administrations supra-territoriales la production de biens et services standards sujets aux rendements d’échelle comme le transport en commun, les services de police, etc. La péréquation entre les gouvernements locaux se fait au niveau des administrations supra-territoriales.

Dans l’approche de la ville monopolistique, la dimension optimale de l’ensemble urbain est un arbitrage entre les économies d’échelle et les coûts de découvrir et de coordonner les préférences des citoyens des différents « arrondissements ». Ici, la péréquation est implicite. La décentralisation est donc affaire de calcul avantages-coûts. Il faut d’abord déterminer ce qui est « centralisable » et ce qui est « décentralisable » en fonction des rendements à l’échelle, de la standardisation du produit, des externalités produites et de l’application du principe de subsidiarité, notamment en ce qui a trait au financement local de la production du bien.

Néanmoins, et comme déjà évoqué, les deux systèmes (centralisation et décentralisation) peuvent converger.

Le pouvoir aux régions

Le « pouvoir aux régions » est analysé selon le principe de subsidiarité, qui allie les principes de la décentralisation à l’obligation et à la capacité de percevoir les taxes et redevances nécessaires pour financer la production des biens publics fournis par l’autorité locale.  A priori, il n’est pas évident que le fait de donner le « pouvoir aux régions » favorise le développement économique régional. Rappelons en effet que les principaux facteurs de convergence étant l’amélioration du capital humain et le degré d’urbanisation. Il apparaît que, pour des raisons techniques ou constitutionnelles, tout ne peut pas être décentralisé et les leviers locaux sont limités. Surtout, ces derniers ne peuvent pas éliminer les principaux obstacles au développement :

  • La distance ;
  • De faibles économies d’agglomération et peu d’échanges de connaissances tacites ;
  • Le fait que la nouvelle économie est basée sur les services ;
  • L’épuisement des ressources ; et
  • Un solde migratoire négatif.

En l’absence d’externalité positive, aucune forme de subvention ne peut neutraliser ces obstacles, c.-à-d. transformer les projets financièrement non rentables (à cause des obstacles mentionnés ci-haut) en projets rentables économiquement. Dans un tel contexte, le pouvoir à donner aux régions est d’abord celui d’orienter l’allocation locale des programmes d’aide, de manière à fournir au gouvernement (autorités centrales) l’information nécessaire pour une application efficace des programmes (par exemple dans le domaine de la formation de la main-d’œuvre). L’administration des fonds de développement présente aussi une avenue intéressante. Or, comme ces fonds viennent en partie du centre, il y a des problèmes d’imputabilité, d’effets externes à la région et de manque de projets rentables. La suggestion de procéder en partenariat avec le secteur privé est également intéressante, surtout si cela mène à l’utilisation d’informations non disponibles et si, les dépenses et les projets passent le test de l’analyse avantages-coûts. Les acteurs régionaux doivent également pouvoir se concerter, sachant que cette concertation peut susciter un lobby local en mesure d’être utilisé pour conserver des « acquis ». Par conséquent, cette concertation ne doit prendre en compte les externalités interrégionales afin d’éviter des changements de la structure économique : un certain pouvoir décisionnel peut donc être octroyé aux régions, dans la mesure où elles sont prêtes à assumer les conséquences de leurs choix.

La péréquation

De façon générale, la péréquation (une subvention du centre à la périphérie) est acceptable politiquement par le centre lorsqu’il y a réciprocité : les subventions du centre lui reviennent sous forme d’achats des produits du centre par la périphérie. Avant la mondialisation, la relation consistait en la fourniture de produits primaires et de surplus de population par l’hinterland alors que la métropole fournissait en retour à cet hinterland des services et des biens manufacturés. Avec la mondialisation, l’hinterland s’affranchit de la métropole.  Aux États-Unis, par exemple, il n’y a pas de promesse formelle mais un processus politique assurant aussi des conditions minimales mais non égalitaires. Dans plusieurs autres pays, les deux principaux services publics (santé et éducation) sont assurés selon des normes communes. Pour le reste, on s’en remet à un système « à l’américaine » où les transferts sont justifiés par diverses considérations. Le problème d’équité se pose par ailleurs si les gens doivent vivre en périphérie contre leur volonté, par exemple, le manque d’éducation les empêche d’occuper des emplois locaux assez payants ou encore à occuper des emplois au centre.

Les valeurs d’option, d’existence et de legs des régions périphériques

La science économique considère les valeurs d’option, d’existence ou de legs comme réelles, mais difficiles à mesurer. Il existe une valeur d’option si les habitants du centre sont prêts à payer une prime (fournir une subvention) pour la conservation d’une région périphérique (peu importe son potentiel) de sorte que dans l’avenir les gens du centre pourraient s’y établir, la visiter ou y faire des affaires.

Une région périphérique peut aussi avoir une valeur d’existence pour les gens du centre pensent que la périphérie ajoute de l’utilité, du prestige, ou de la sécurité au centre. Il y a enfin la valeur de legs, c’est-à-dire la disposition à payer pour la conservation de la périphérie parce qu’elle constitue une valeur patrimoniale. Ces valeurs ont beaucoup de pertinence. Elles peuvent notamment influencer le niveau de la péréquation à payer aux régions périphériques ou à justifier d’autres aides. Prenons par exemple le cas de la disparition « passagère » d’une ressource qui constituait la base économique d’une région périphérique. Ce cas est réglé par le recours à la détermination de la probabilité de retour de la ressource et par l’usage du taux d’actualisation. Les cas de l’amiante et du poisson pourraient être analysés dans ce cadre. Actuellement, la découverte de ces valeurs repose sur des méthodes semblables à celles utilisées pour évaluer l’environnement et la culture.

Hedi Ben Doua.

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