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Coup d’État au Niger : Si “le syndicat des présidents” échoue qui sera emporté par la prochaine vague?

Coup d’État au Niger : Si “le syndicat des présidents” échoue qui sera emporté par la prochaine vague?

Intervenir militairement pour déloger les putschistes du Niger ? Faire le dos rond en se contentant de crier son indignation outrée ou tout au plus serrer la vis sur les sanctions économiques et financières ? Ce sont ces questions, lancinantes, qui taraudent en ce moment même les 15 pays de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Le sujet brûlant du coup d’Etat au Niger, le 5ème depuis l’indépendance du pays (en 1960), sera sur la table demain jeudi 10 août à Abuja, au Nigéria. Que décidera la communauté ouest-africaine ? Il y a de fortes chances qu’on en reste à des voeux pieux, à la pression diplomatique face à l’impossibilité pratique de faire prévaloir la force…

Après les muscles la voix de la raison : la négociation

Le président du Nigéria, Bola Tinubu, qui occupe actuellement la présidence de la CEDEAO, est monté au front dès les premières minutes du coup d’Etat chez le voisin et a menacé d’utiliser la force pour rétablir l’ordre institutionnel au Niger, un pays cité parmi les rares vraies démocraties en Afrique. Mais voilà, Tinubu a été rattrapé par la réalité sur le terrain, ou plutôt par le Sénat nigérian qui ne veut pas entendre parler d’une intervention militaire. Les sénateurs, surtout ceux qui parlent au nom des zones frontalières avec le Niger, ont vite saisi la dangerosité d’une opération militaire dans un espace où les terroristes de Boko Haram sèment régulièrement mort et désolation.

Alors le président nigérian a changé de braquet, maintenant il ne jure que par la négociation, la diplomatie, même si théoriquement l’option militaire reste sur la table. Mais le Nigéria n’est pas le seul à avoir tourné casaque. «C’est la démarche de la Cédéao, c’est notre démarche, et nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel», a confié le secrétaire d’État américain Antony Blinken, sur RFI, lundi 7 août. Les choses sont claires : les armes ne parleront pas et très probablement ne parleront jamais…

Elles ne parleront pas parce qu’il n’y aura jamais une unanimité pour engager le combat contre les putschistes. D’abord au sein de la CEDEAO seuls 3 pays ont clairement exprimé leur volonté d’en découdre avec les militaires nigériens : le Nigéria – avec les réserves exposées plus haut -, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Tous les autres membres de la communauté ouest-africaine rasent les murs en attendant un miracle qui leur évitera d’aller plus loin dans cet affrontement qu’ils ne veulent pas et dont ils n’ont pas les moyens matériels.

Et même les trois pays volontaires ont aussi leurs problèmes, criants. Tinbu vient à peine d’être élu à la tête d’un pays – le Nigéria – qui certes sur le papier est la première puissance économique du continent mais qui a des problèmes structurels très lourds : Sous-développement chronique, insécurité, terrorisme, corruption endémique, etc.

Le Sénégal est certes un peu mieux loti mais lui aussi fait face à des tensions politiques extrêmes depuis l’incarcération du principal opposant, Ousmane Sonko. Et les djihadistes qui rodent dans la région rêvent d’en profiter…

Quant à la Côte d’Ivoire personne ne peut prédire ce que sera l’après- Alassane Ouattara, dans un pays qui lui aussi a été meurtri par le terrorisme islamiste (au Grand-Bassam en 2016 et à Kafolo, à la frontière burkinabè, en 2020).

Et puis il y a le refus catégorique des nombreux voisins du Niger, 7 au total. Le plus puissant d’entre eux – militairement – et de toute l’Afrique, l’Algérie, qui partage 951 kilomètres de frontière avec le Niger, a clairement fait savoir qu’il n’est pas question que la CEDEAO intervienne militairement. Alger, comme tous les autres, craint un afflux de réfugiés qu’il ne pourrait pas contenir mais surtout redoute que les groupes djihadistes s’engouffrent dans la brèche. Le Tchad, dont l’armée a une solide réputation, refuse catégoriquement toute action militaire pour les mêmes raisons.

LA CEDEAO n’a pas les moyens de ses ambitions et les putschistes le savent

La communauté ouest-africaine sait pertinemment que le coup d’Etat du Niger est celui de trop et qu’il faudra agir fortement pour enrayer la spirale mortifère. C’est d’abord une question de crédibilité pour la CEDEAO, avant d’être une question de survie pour l’organisation. Ensuite c’est la survie même des Etats-membres qui est en jeu. Si pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger les coups d’Etat sont hélas inscrits dans les traditions, ce n’est pas le cas du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, deux poids lourds de la communauté ouest-africaine…

Quatre présidents ouest-africains balayés par des putschs en à peine 3 ans (au Mali en août 2020 et mai 2021, en Guinée en septembre 2021, au Burkina Faso en janvier 2022, au Niger le 26 juillet dernier), alors qu’ils ont été élus plus ou moins démocratiquement, c’est largement suffisant pour convoquer «la théorie des dominos». A qui le tour demain ? Le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire, voire même le Sénégal ?

De toute évidence il faut faire quelque chose pour éloigner ce spectre qui ferait reculer ces pays de plusieurs décennies, comme le Mali et le Burkina Faso fréquemment endeuillés par les terroristes. Mais que faire face à un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNPS) qui a promis une «riposte immédiate» à «toute agression» contre le Niger ? Que faire face à ses voisins – le Mali, le Burkina Faso et la Guinée – qui ont déclaré que toute action militaire au Niger serait considérée comme «une déclaration de guerre» contre leurs propres pays ?

Les USA, avec leurs 1100 soldats opérant au Niger et la France – 1500 militaires – marchent sur des oeufs. C’est Mohamed Bazoum qui a accueilli les soldats français quand le Mali les a expulsés en 2022. Mais dès qu’ils ont pris les rênes les putschistes nigériens ont déchiré plusieurs accords militaires avec la France,  résultat : le «stationnement» du détachement français à Niamey et le «statut» des soldats mobilisés dans l’opération anti-djihadiste ne tiennent qu’à un fil.

Paris et Washington savent que si les pourparlers avec la junte nigérienne échouent leurs militaires devront plier bagage, comme au Mali et au Burkina Faso. Et les nouvelles ne sont pas bonnes : Les putschistes ont fermé l’espace aérien et en conséquence n’ont pas reçu la délégation de la CEDEAO qui voulait négocier ; un Premier ministre – un civil, ancien ministre des Finances – a été nommé. Comme au Mali et au Burkina Faso on s’éloigne chaque jour un peu plus d’une solution négociée… et de l’Occident…

Le seul à tirer avantage de ces mutations fulgurantes et vertigineuses c’est le président russe, Vladimir Poutine. Les Africains n’en tirent aucun bénéfice, et quand ils le comprendront enfin ce sera déjà trop tard.

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