La Tunisie a été choisie pour accueillir les Journées annuelles du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique. Il y avait du beau monde à Tunis les 9 et 10 février 2023, et pour cause il s’agissait de réfléchir sur l’impulsion à donner aux banques et les obstacles à lever pour qu’elles jouent pleinement leur rôle de soutien aux économies du continent. Quasiment toutes les banques tunisiennes, 64 dirigeants de banques subsahariennes, des banquiers turcs, français, italiens, etc, ont fait le déplacement. On regrettera l’absence remarquée des officiels tunisiens, car ce qui a été dit durant les travaux les concerne au premier chef…
Au nom des PME, des PMI, de l’économie
Là où le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, le vice-président de la Banque Mondiale pour la région MENA, Farid Belhaj, le représentent de la Banque Mondiale en Tunisie et bien d’autres se présentent, les ministres et hauts cadres de l’administration tunisienne se devaient d’y être. Surtout quand on met sur la table le thème “Quelle réglementation bancaire pour les économies africaines ?. La réglementation, à ce qu’on sache, est d’abord l’affaire des responsables politiques, et ils n’étaient pas là pour entendre ce que les acteurs de l’économie ont à leur dire.
Habib Karaouli, président de Cap Bank et fraîchement élu président du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique, lui était bien au rendez-vous, avec le mordant et la profondeur d’esprit qu’on lui connait. Il a exposé les problématiques du secteur et bien d’autres sujets devant ses pairs d’Afrique et d’ailleurs, avant de les développer dans un entretien exclusif avec Tunisie Numérique…
En parlant de cette réglementation Karaouli a déclaré que c’est “une question qui préoccupe tous les opérateurs économiques en fait (…). Dans quelle mesure la complexification et la rigidité de la réglementation bancaire limite, voire inhibe l’initiative bancaire, notamment en matière de financement de l’économie, de financement de la PME, PMI”.
“Parce que la réglementation est devenue quasiment étouffante, y a un excès. Cette réglementation nous on s’était posé la question de savoir est-ce que le système financier et bancaire a besoin d’une réglementation, a besoin d’être régulé. C’est incontestablement oui. Donc la question ne se pose même pas. La question qui devrait être posée c’est à quel niveau on met le curseur”, a déclaré l’économiste.
“Est-ce qu’on le met à un niveau où on tue quasiment toute activité économique et tout concours à l’économie, ou est-ce qu’on trouve un point d’équilibre ou ce que le vice-président de la Banque Mondiale a appelé un compromis entre de la rigueur pour contrôler et réguler mais en même temps laisser la possibilité aux opérateurs d’intervenir dans le financement de l’investissement, notamment dans la PME, PMI qui souffrent depuis la crise du Covid puis la crise ukrainienne… qui souffrent énormément”, a-t-il ajouté.
Abassi et Karaouli même combat
“Y a un paradoxe, parce que comme vous le savez tous toute cette réglementation en fait a été générée dans des géographies différentes, elle a été générée dans des cultures différentes, dans des cadrages institutionnels complètement différents. Et vouloir l’appliquer sans aucune différenciation est en soi un facteur d’asymétrie, un facteur de rupture d’égalité. Et ça touche beaucoup plus les petits que les moyens ou les grands”, a indiqué Karaouli.
Si le régulateur – les ministres tunisiens et les autres grands absents – n’adapte pas l’arsenal normatif aux réalités et contraintes du terrain, “on va être en face d’un système financier qui ne sera pas en mesure de financer l’économie et qui sera tout simplement en mesure de financer peut-être les déficits de l’Etat, parce que c’est des placements qui sont sûrs et il y a aucun risque, plutôt que d’aller vers de l’investissement productif, notamment de PME, PMI ou de startupeur, etc”.
C’est exactement ce qu’a dit Marouane Abassi quand il s’est interrogé sur “Quelle réglementation pour quelle banque ?”. Karaoui a fait savoir qu’ils formuleront dans ce sens des idées et propositions, avec le concours d’experts de haut niveau, professeurs et académiciens qui ont travaillé sur ces problématiques. Il faudra repasser après pour savoir ce qu’il adviendra de ce document, s’il ne finira pas comme beaucoup d’autres : dans les tiroirs des décideurs politiques…
“Moins de législations et moins de textes, qui sont des textes vraiment incapacitants dans certains cas…”, oui certainement, mais comment et surtout quand ? C’est tout l’enjeu du rendez-vous du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique. Le président de Cap Bank a un mandat de 3 ans pour accomplir une révolution qui rendra beaucoup de services aux économies africaines, surtout les pays francophones parmi lesquels on peut ranger la Tunisie.
La voie à suivre est sous nos yeux et elle est africaine
“C’est pas un hasard que les pays d’Afrique anglophones où c’est la common law qui est appliquée qui soient les plus performants, et notamment en termes de startups et de création d’entreprises. Les cinq premiers pays en Afrique où il y a quasiment c’est 95% des startups en Afrique c’est l’Afrique du Sud, c’est le Nigéria, c’est le Kenya, c’est l’Egypte et la Tanzanie. C’est pas un hasard…”, a indiqué Karaouli.
“La common law part d’un principe qui me semble important : c’est celui de dire confiance à priori, contrôle à posteriori. ce qui est en totale opposition par rapport à la civil law qui met des lois justement pour vos empêcher de faire quoi que soit. Et ça arrive à des situations qui sont parfois “cocasses”, parce que même ce qui n’est pas interdit par la loi l’administration l’interprète comme étant une interdiction, parce qu’ils estiment qu’il faut que ce soit une autorisation franche”, a-t-il ajouté.
Sa démonstration sur les activités innovantes et les nouvelles technologies est implacable, alors que justement les autorités misent sur ces niches pour prendre le virage d’une économie à haute valeur ajoutée, celle qui a permis à la Corée du Sud, pour ne citer qu’elle, de faire des progrès fulgurants au point de faire jeu égal et même dépasser les vieilles nations industrialisées.
Tant que l’espace n’est pas oxygéné, avec une vraie liberté d’action pour les jeunes créatifs, les cerveaux continueront à prendre le large vers des cieux plus cléments. “C’est un vrai challenge pour les pouvoirs publics, (…) on a un déficit d’initiatives, ça c’est clair, parce qu’il y a un aspect culturel là-dedans”, a déclaré Karaouli…
Donc la balle est clairement dans le camp des autorités, de Tunisie et d’ailleurs. Elles ont les clés du sursaut et du renouveau, autrement ce sera le triomphe de l’enlisement, un fléau que l’Afrique connait très bien, trop hélas.
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