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Ma vie: Seule avec 04 enfants à charge de Kerkennah

Ma vie: Seule avec 04 enfants à charge de Kerkennah

Tunisie Numérique a mené une série d’interviews auprès des familles tunisiennes pour savoir comment elles gèrent leurs budgets en ces temps de crise que traverse le pays.

Ces tunisiens proviennent de différentes classes sociales, sont d’âges différents et habitent dans des quartiers aussi bien huppés que populaires. Ils ont accepté volontairement de répondre de manière spontanée et anonyme aux questions de Tunisie Numérique. Les récits ont été retranscrits tels quels.

La femme: Saida, 44 ans, pêcheuse.

Le mari: Amor, 45 ans, passeur, en prison.

Saida est mère d’une famille de 04 enfants : 02 garçons et 02 filles.

Les 02 garçons ont 16 et 21 ans et les 02 filles 08 et 13 ans.

Saida s’occupe seule de sa famille depuis l’incarcération de son mari, Amor.

Elle nous confie : « Je n’ai jamais été pêcheuse. Quand mon mari a été inculpé, je n’avais pas le choix. Il fallait aller en mer pour nourrir ma famille, je devais braver les vents, les tempêtes et les marées ».

Saida rajoute tristement : « Je me noies dans les malheurs de la vie comme se sont noyées les victimes du bateau de mon mari. Cette embarcation de malheur a décimé des dizaines de vies. Celle de notre famille en fait partie ».

La traversée de la mort : le début des malheurs

Saida très affectée continue : «Amor en a pris pour 10 ans de prison. Il était le seul survivant de cette traversée de la mort qui a pris la vie à des jeunes rêvant d’atteindre les côtes Italiennes pour une vie meilleure. Quel cauchemar ! Amor était le capitaine du bateau, la police l’a attrapé. Il a été jugé par contumace. Il n’a pas fait appel. Il est en prison et je fais face seule à la vie ».

Saida nous raconte qu’avant l’arrestation de son mari, la famille n’a jamais eu de soucis financiers. Elle dit à ce propos : « Nous n’avions pas de problème d’argent. On dépensait sans compter. C’est vrai que je ne cherchais pas d’où ça venait. On vivait l’instant présent sans jamais penser à ce qui arriverait demain ».

Saida dit avec regret : « Nous n’avons pas fait beaucoup d’épargne. Je n’ai pu sauver qu’une maison modeste que nous avions bâtie les premières années de notre mariage. J’ai dû vendre le tiers des meubles pour payer les frais d’avocat du procès de mon mari, … ».

Saida lance : « En un instant tout a basculé. Notre vie a chaviré comme le bateau qui a coulé avec les victimes de la Harka –  الحرقة».

La femme et l’homme de la maison

Saida nous parle de son nouveau rôle : « Je suis la mère et le père de famille. Je suis seule avec 04 enfants. Pour faire vivre ma famille, j’ai choisi, comme Amor, la mer. Mais moi, c’est avec l’argent de la pêche que je nourris mes enfants ».

Saida nous explique que la famille l’a aidé pour se lancer dans la pêche. L’oncle de son mari lui a fait don d’une petite barque qu’elle a dû retaper avec des filets de pêche.

Saida nous dit fièrement : « Avec ce bout de bois j’ai pris la mer pour aller pêcher dans le coin de Mellita et les côtes voisines.  Mon compagnon, mon soutien et mon mousquetaire est maintenant mon fils aîné Nidhal. Il a 21 ans et il porte déjà  le fardeau de la famille avec moi. Ensemble nous faisons face à la mer ».

Saida tient à préciser un point : « Avec ce qui s’est passé, nous sommes devenus pointés du doigts. On a choisi de faire face à la vie et de ne pas se préoccuper de ce que pensent les autres. Amor est en train de payer pour ses fautes Rabbi Ifarrej Alih we Yahdih -ربي يفرج عيه ويهديه     »

Des revenus au gré des marées

Saida nous parle de son travail :« La mer est difficile à dompter. On ne sait jamais si la sortie va être poissonneuse ou pas. Notre revenu de la pêche est instable. Des fois quand il fait beau, nous pouvons gagner 3 000 dinars par mois. Quand la mer est agitée le revenu ne dépasse pas les 2 000 dinars par mois ».

Parlant de ces finances difficiles, Saida rajoute : « Pour combler le manque à gagner et faire face aux dépenses familiales, je suis obligée de travailler comme réparatrice de filets de pêches ou comme aide-ménagère dans la résidence estivale voisine ».

Saida continue : « Dans tous les cas de figure, le revenu mensuel ne dépasse pas les 2 500 dinars dont 1/3 va dans la préparation du couffin de la prison de Amor- القفة ».

Le couffin de la prison- القفة et d’autres dépenses

Saida nous parle des frais d’incarcération de Amor : « Chaque semaine, c’est le même rituel du couffin- القفة. Ce sont chaque mois 900 dinars au moins que je dois soustraire au budget familial ».

Saida rajoute : « Pour dissuader Nidhal de rester avec moi et ne pas succomber à la tentation de la migration clandestine, je lui donne 800 dinars par mois comme salaire. Il le mérite car il travaille avec moi c’est mon bras droit. Je ne peux pas aller en mer sans lui ».

Les frais de transports des enfants à leurs établissements d’enseignement, situés à plus de 45 minutes de la maison, sont estimés à 300 dinars par mois et ce sans compter les goûter et les repas de midi.

Saida dit à ce sujet : « La rentrée scolaire me déprime et me désespère. Je dois chercher des solutions pour faire face aux dépenses de Septembre. Souvent, je suis obligée de ‘‘mendier’’ auprès du Chef du quartier- العمدة – Omda. Je sollicite également l’aide d’association caritatives pour avoir des dons de fournitures scolaires ».

Saida continue : « Des fois je suis pieds et poings liés.  Les revenus de la pêche ne suffisent plus. Mon mari n’a même pas encore purgé la moitié de sa peine. Je dois continuer à me déplacer chaque semaine à Sfax pour lui rendre visite avec ce couffin de malheur. Entre temps, je dois arrêter de travailler. Le séjour de Amor en prison me coûte jusqu’à 1 200 dinars par mois ».

Saida fait ses comptes : « J’ai les 900 dinars de couffins de Amor auquel je dois rajouter 800 dinars pour Nidhal. Je dois également payer les frais de la maison, l’achat des vêtements, les factures de STEG et de SONEDE, les cartes téléphoniques des enfants, la factures d’Internet. Ceci me coûte 1 200 dinars par mois. On doit emprunter de l’argent à la famille ou à des amis de mon mari ».

Saida précise : « Cet été, mon aîné, Nidhal a travaillé avec un entremetteur immobilier سمسار pour les locations d’été. Ceci a augmenté notre revenu familial. Nidhal a fourni beaucoup d’efforts et a gagné 4 500 dinars pour 3 mois de travail continu et non-stop 24 heures sur 24 ».

Saida nous avoue qu’elle n’a pas de compte bancaire et postal. Elle commente en ricanant à ce sujet : « Pourquoi un compte bancaire ? J’ai 2 sous – زوز فرنك qui ne couvrent que nos dépensent journalières et encore ! ».

Avant de finir Saida, surnommée ‘‘Capitaine’’ par ses enfants, nous dit : « Vivre à Kerkennah n’est déjà pas facile. L’isolement, le coût de la vie et le regard des autres sont tuants. Je prie dieu chaque jour pour que cette galère finisse et que Amor sorte de prison. La mer est notre alliée et nous vivrons de la mer mais en Halal حلال».

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