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Mehdi Mahjoub porte la voix des concessionnaires automobiles : Les réussites, les problématiques, les solutions…

Les 22 723 voitures neuves vendues cette année – du 1er janvier au 31 mai 2023 – sont la preuve que le secteur automobile se porte bien en dépit de la conjoncture nationale et internationale. Le véhicule particulier garde sa place centrale auprès du consommateur, avant même l’acte d’achat pour le bien immobilier. Et puis il y a le poids dans l’économie nationale, avec les dizaines de milliers d’emplois que draine le secteur et les retombées pour les caisses publiques au titre des taxes et impôts. C’est tout cela et bien d’autres sujets qui sont abordés dans cette interview exclusive accordée à Tunisie Numérique par Mehdi Mahjoub, Directeur général de Hyundai Tunisie et Porte-parole de la Chambre syndicale des concessionnaires et constructeurs automobiles.

Le secteur automobile pèse lourd économiquement

Le secteur automobile tunisien est composé d’au moins 36 concessionnaires automobiles. Ils représentent au moins une cinquantaine de marques. Le marché tunisien a donc plus de labels automobiles que les pays voisins. “Le choix clairement appartient au client. Si une marque réussit, c’est le client qui l’a choisie. Si une marque n’est pas performante ou n’arrive pas à percer dans un marché c’est le client qui décide”, a déclaré Mehdi Mahjoub…

Le secteur automobile emploie directement à peu près 30 000 personnes. Et que dire des emplois indirects qui gravitent autour. C’est donc une niche qui pèse lourd économiquement et socialement. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur les concessionnaires, parce que chaque concessionnaire a ses propres agences un peu partout sur le territoire tunisien. Chaque marque automobile a entre 10 et 15 agences opérant dans le pays. Tout ça ne peut être que bénéfique pour l’emploi et l’investissement.

Pour chaque agence il faut compter 1000 à 1500 mètre carrés, avec au moins une trentaine d’employés dans les différents spécialités : Du mécanicien au gestionnaire en passant par le taulier, le peintre, le commercial, le financier… Donc c’est un métier qui draine plusieurs compétences, dans une grande diversité…

Aujourd’hui le marché tunisien avoisine les 60 000 voitures, y compris les utilitaires, les dites “populaires” et celles assemblées localement. Bien entendu le volume global est décidé par le ministère chaque année. “J’espère que cette année il ne sera pas diminué. Cette semaine on a une réunion avec le ministère du Commerce pour faire une évaluation. Le besoin existe parce que la mobilité en Tunisie et la mobilité en général est très importante en l’absence d’un transport en commun performant. Il existe mais il n’est pas performant. Donc la voiture devient indispensable”, a plaidé le directeur général de Hyundai Tunisie.

Le consommateur tunisien achète la voiture avant la maison. Parce qu’il peut facilement louer une maison, mais il ne peut pas louer une voiture tout au long de l’année. C’est ce qui fait du véhicule personnel un passage obligé…

Beaucoup de gens disent que le secteur automobile est en train de puiser dans les ressources en devises du pays. Mehdi Mahjoub a battu en brèche cet argumentaire. 

Premièrement le secteur automobile normalement est un secteur libre à l’importation, comme tout autre secteur. Comme ceux qui importent des téléphones, des télévisions, des ordinateurs, des habits, etc. Mais on oublie que les concessionnaires automobiles dans les années 90 ont été à l’origine de l’importation d’un tissu industriel de composantes automobiles.

Aujourd’hui, 41% de l’export de la Tunisie vient des composantes et elles représentent 3,5 à 4 fois le montant d’importation des voitures. Ça veut dire que le chiffre d’affaires à l’export des pièces de rechange automobile fabriquées en Tunisie couvrent 3 fois et demi le montant d’importation des voitures. Donc le secteur automobile est excédentaire en termes de devises. “On aimerait bien qu’il en soit ainsi pour tous les autres secteurs. Nous les concessionnaires à chaque fois avec nos fabricants on ne fait qu’essayer de maximiser ce chiffre-là”, a argué le Porte-parole de la Chambre syndicale des concessionnaires.

Le secteur a démarré doucement. Puis quand les constructeurs ont débarqué, ils ont trouvé les compétences, le climat, le rendement, le coût de production. Tout ça fait qu’ils sont en train de délocaliser pour s’installer en Tunisie. “On n’épargne rien pour faire fructifier ce chiffre-là. Mais qu’on ne vienne pas nous dire que les concessionnaires sont en train de puiser dans les réserves de devises. Bien au contraire, on est en train de développer l’export des pièces vers leurs fabricants”, a déclaré Mehdi Mahjoub.

Et même mieux : il y a des concessionnaires qui sont en train d’investir dans des usines pour la fabrication des voitures ici. Il y en a au moins 5. “Petit à peu, on est en train de développer le tissu industriel de fabrication automobile”, a-t-il ajouté. Par ailleurs, le secteur des composantes automobiles aujourd’hui emploie plus que 80 000 personnes sur tout le territoire tunisien. Ces usines sont installées dans des zones industrielles de l’intérieur du pays et chaque usine fait travailler au moins 1000 à 2000 personnes, et en plus dans des zones défavorisées”.

“On souhaite que tous les secteurs soient organisés comme le secteur automobile. On a une excellente relation avec la TAA (Tunisian Automotive Association) et on développe même des salons ensemble pour capter les fabricants, pour leur montrer ce qu’on a, ce qu’on n’a pas. Et cette semaine on a la visite d’un investisseur en Tunisie, Hyundai. Il va visiter au moins une dizaine d’usines en Tunisie pour justement acheter des pièces sur place”, a annoncé M. Mahjoub.

FCR, marché parallèle, patriotisme économique… : Mehdi Mahjoub dit ses vérités

Par ailleurs, il a évoqué le dossier du FCR (Franchise de changement de résidence), dont tout le monde a entendu parler. “Le FCR est un droit que personne ne peut remettre en cause. Par contre, le droit ne doit pas se transformer en marché organisé. Premièrement pour la protection du consommateur. Parce que la voiture achetée sur le marché parallèle, on n’est pas certain de ses caractéristiques. Est-ce que les pièces de rechange existent ? Est-ce qu’il y a un service après-vente à disposition ? Est-ce que la garantie existe ?”, s’est-il interrogé.

Donc celui qui ramène sa voiture pour son utilisation personnelle c’est sa responsabilité, il fait venir ce qu’il veut. Mais celui qui veut ramener une voiture dans le cadre d’un commerce, il faut protéger le consommateur, il faut protéger les droits et taxes. Aujourd’hui le concessionnaire est taxé à 35%, plus 4% ; pratiquement 40% d’impôt. Il paie 19% de TVA, il cotise à la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale), il emploie les gens. Le marché parallèle ne fait rien, absolument rien de tout ça…

“Qu’est-ce qu’on veut pour la Tunisie ? Le gouvernement est en train de dire que 50 à 60% de l’économie en général relève du parallèle. Est-ce qu’on veut gonfler le marché parallèle ou est-ce qu’on veut faire prospérer le marché officiel ? C’est l’Etat qui décide. Nous ce qu’on dit c’est que le FCR est en train de nourrir le marché parallèle et il y a des taxes, des cotisations à la CNSS, des impôts, des investissements et des emplois que le pays perd. La Tunisie n’y gagne rien, les voitures se vendent sur internet, sur les trottoirs, sur Facebook. Et là on ne parle pas de 1000 ou 2000 voitures écoulées, on parle de 20 000 voitures vendues par an sur le marché parallèle”.

Et la traçabilité est facile à établir. On ne parle pas de simples marchandises ou de pièces de rechange, on parle de voitures qui passent par la Douane, qui sont enregistrées. Donc c’est très facile à cerner. Donc si aujourd’hui on veut insérer le marché parallèle dans l’économie officielle c’est très facile à faire…

Celui qui veut amener sa voiture pour son usage personnel peut faire ce qu’il veut. Celui qui veut passer par le concessionnaire et payer en devises en Tunisie c’est possible. Les concessionnaires commercialisent aussi des voitures FCR ; elles sortent avec la mention RS sur la plaque d’immatriculation. La devise rentre et reste 6 mois en Tunisie, puisque les concessionnaires ont la possibilité de payer les fabricants 6 mois après. Et si le propriétaire veut revendre la voiture il paye la douane…

M. Mehdi Mahjoub a fait appel au patriotisme économique en demandant aux Tunisiens résidant à l’étranger d’aider leur pays d’origine en achetant les voitures sur place en devises.

Les problèmes du moment et leurs remèdes

La tendance mondiale c’est résolument les voitures hybrides et électriques. Ce dernier n’est pas développé en Tunisie. Les concessions travaillent avec l’Agence nationale de maîtrise de l’énergie (ANME) pour installer des bornes de recharge dans le pays. Il est aussi question de changer la législation pour la vente de l’électricité. Parce que présentement il y a le monopole de la STEG. Petit à petit la niche de l’électrique va grossir et les concessionnaires suivront le rythme.

“Le problème n’est pas est-ce que les concessionnaires veulent ramener des véhicules électriques, la question est est-ce que les clients veulent acheter ces voitures. Nous concessionnaires nous répondons à un besoin. S’il y a un besoin de voitures électriques, on les ramène. Mais la demande n’est pas forte parce que justement les bornes de recharge ne sont pas vulgarisées. Je suis certain que les gens veulent ces véhicules mais la recharge est une contrainte pour le client tunisien. Le jour où elle sera levée, et elle le sera, le développement de la voiture électrique se fera”, a déclaré le patron de Hyundai Tunisie…

En attendant, il y a l’hybride, avec ses deux moteurs, électrique et essence.

Le secteur est aussi composé de fabricants. Aujourd’hui les fabricants de véhicules particuliers en Tunisie ont un problème. Ils payent exactement les mêmes taxes de droits de consommation. C’est-à-dire une voiture complète paye par exemple 20% de droits de consommation, une voiture fabriquée en Tunisie paye la même chose. La Chambre syndicale des concessionnaires plaide pour que ces fabricants aient un privilège quand ils atteignent un taux d’intégration minimum. Il faudrait que ces assembleurs contribuent plus à l’économie tunisienne. Qu’ils achètent sur place les pneus, les vitres, les filtres, le câblage et beaucoup d’autres choses en Tunisie et en échange on leur enlève ces taxes.

Le segment des véhicules utilitaires et celui des véhicules particuliers sont en mutation à l’échelle de la planète. La crise des semi-conducteurs a paralysé des marques et des usines dans le monde. Il y a une pénurie mondiale de semi-conducteurs et il y a des marques qui sont touchées plus que d’autres. Le numéro 1 en Tunisie, Hyundai, n’est pas touché ; il l’a été en 2021, mais en 2022-2023 le problème a été résolu. Mais il y a des marques à l’arrêt, au ralenti, etc.

Il y a aussi le problème de l’augmentation des prix de la matière première. Quand une usine qui a une capacité de production de 5000 voitures par mois descend à 1000 les charges montent, le prix de la voiture augmente en conséquence. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu en Tunisie :

  1. Le glissement du dinar par rapport à la monnaie étrangère
  2. La hausse du prix pour certaines marques chez le constructeur à cause de la pénurie et à cause de la matière première. La guerre entre l’Ukraine et la Russie a frappé beaucoup de marchés. S’y ajoute l’explosion des coûts du transport, même si la situation s’est calmée.
  3. Il y a la taxe à la consommation, qui varie entre 20 et 110% selon la cylindrée, plus 19% de TVA. “On comprend parfaitement la logique de la taxe pour l’Etat. On n’est pas pour mais on comprend”, a dit le patron de Hyundai Tunisie. Le souci c’est qu’aujourd’hui “la taxe sur les voitures est parmi les plus élevées au monde”, a-t-il déploré.

“Mais malheureusement tant que l’économie parallèle n’est pas intégrée, en général pas uniquement les voitures, dans l’officiel et tant qu’elle ne paye pas sa part d’impôt on ne peut pas demander à l’Etat de réduire les taxes”, a admis M. Mahjoub. L’Etat se rabat sur les secteurs qu’il peut contrôler et taxer. “Aujourd’hui si on est tunisien responsable et qu’on aime la patrie, quand on gagne 100 dinars on en cède 20 au titre de la taxe, quand on fait 100 mille dinars de chiffre d’affaires en paie 20 mille et 20 millions de dinars pour celui qui réalise 100 millions”, a-t-il suggéré.

“Nous faisons partie des catégories qui veulent que les entreprises prospèrent, qu’elles réussissent. Pourquoi ? Pour conserver les emplois, pour maintenir le flux des investissements. Si l’entreprise gagne de l’argent elle peut garder ses employés et même en embaucher davantage, et augmenter en conséquence les cotisations sociales et les impôts. Le problème vient de ceux qui engrangent dans le secteur parallèle et ne payent rien en retour”, a déclaré le directeur général de Hyundai Tunisie.

Quel destin pour la voiture “populaire” ?

D’abord, place aux indicateurs du marché automobile pour cette année. A fin mai 2023, le marché global a progressé de 2% par rapport à 2022, une très mauvaise année pour le secteur. Le segment des véhicules particuliers est à +3% et les utilitaires -1%. Du 1er janvier au 31 mai 2023 il y a eu 22 723 nouvelles immatriculations. Dans le détail on a 17 000 véhicules particuliers – dont 2800 voitures “populaires” – et 5719 utilitaires.

Beaucoup collent à la voiture l’étiquette de luxe, dédiée aux loisirs ; il ne faut pas oublier les taxis, la location, l’auto-école, le tourisme, les commerciaux, les journalistes qui en ont besoin pour travailler… Donc la voiture n’est pas du tout un luxe.

Autre précision de taille : 70 à 75% des voitures écoulées en Tunisie sont des voitures “populaires” et des véhicules de 5 chevaux. Les voitures de luxe dont on parle, vendues à 100 000 dinars et plus, ne représentent que 5% dans le total. Les concessionnaires ne se réjouissent pas du fait que les prix des voitures flambent. En 2010 le dollar était à 1,3 dinar, rappelle M. Mahjoub. La voiture qui se vend aujourd’hui à 50 000 dinars était payée à 22 000 à l’époque…

Certes le prix du constructeur a été majoré, idem pour le transport, mais ce qui a surtout fait flamber les tarifs c’est le change. Le fait que le dinar ait perdu du terrain face au dollar et à l’euro a fait exploser les prix des véhicules.

Les choses ne vont pas s’arranger, surtout pour le segment des véhicules “populaires”. En effet, la crise des semi-conducteurs frappe de plein fouet cette catégorie. Beaucoup de fabricants refusent d’équiper les petites voitures. Il y a beaucoup de marques de voitures qui ont cessé de produire des véhicules classés dans la case “populaires”. Beaucoup de modèles ont disparu à l’échelle de la planète. La Tunisie est passée de 12 marques à 7. Ce sera un gros problème pour les petits budgets.

Pour réduire les délais d’attente, soulager les consommateurs et les concessionnaires, le patron de Hyundai Tunisie propose de réduire la demande de voitures “populaires” en activant le levier de la taxe. En faisant monter cette dernière sur les “populaires” et en baissant celle des autres catégories, la différence de prix va se resserrer fortement. Et donc l’acheteur se dira que finalement il est plus intéressant de se payer tout de suite une voiture que d’attendre 5 ans pour avoir une “populaire”.

L’article fait partie du DOSSIER AUTO paru dans l’édition de TN Le Mag de Juin 2023. 

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