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Par Abdelaziz Gatri : Tunisie, la tentation militariste

Par Abdelaziz Gatri : Tunisie, la tentation militariste

Bourguiba tirait une grande fierté particulière que la Tunisie était l’unique pays en Afrique où les militaires étaient dans leur endroit naturel : les casernes. Pourtant, diminué par l’âge et la maladie, livré à des intrigants de palais, il a eu l’idée de mettre un militaire à la tête de la sécurité nationale, puis du ministère de l’intérieur, et enfin, du premier ministère.

Comment pouvait-il oublier que selon la constitution, constitution qu’il a lui-même amendée selon ses souhaits, c’est le premier ministre qui occupe le poste de président de la république en cas de vacance? Cet amendement, Bourguiba l’a défendu bec et ongles et fait adopter en juin 1975, contre l’avis de son propre parti, et de son propre premier ministre, Hédi Nouira, qui avaient présenté un projet stipulant qu’en cas de vacance du poste présidentiel suite décès, démission ou incapacité, c’est le président de l’assemblée nationale qui assure les fonctions de président de la république de façon temporaire.

Mal lui a pris. L’unique militaire, que Bourguiba a sorti des casernes pour lui offrir un poste politique de choix, n’a pas tardé à l’évincer et à s’emparer de la magistrature suprême. Pire, il l’a forcé à finir sa vie comme il l’a commencée sous la colonisation, en forçat. Rien ne sert de marteler des axiomes, quand on ne s’y tient pas soi-même.

Ces réflexions me traversaient l’esprit après l’engagement en politique, largement médiatisé, d’un ancien militaire, ancien conseiller du président de la république, dans un projet politique dont personne ne connait les tenants, ni les aboutissants. Cet engagement aurait pu passer inaperçu, si son auteur ne s’était pas prévalu de son grade d’ancien amiral de la marine nationale, et de sa tenue militaire, arborant grades et décorations. Et aussi après la lecture d’un appel d’anciens hauts gradés de l’armée, adressé au président de la république, se faisant l’écho d’un appel semblable, adressé outre méditerranée par des militaires français à Emmanuel Macron il y a quelques jours.

Mais si les chambellans français s’étaient adressés à leur président en officiers d’active, s’érigeant contre une guerre civile éventuelle à cause de l’extrémisme religieux, les notres ont par contre émaillé leur appel d’éléments de langage tirés du lexique de la secte islamiste fait de termes tels le tawafok (التعــايش), le dialogue, la concorde, l’ablation (الإستئصـال), l’exclusion (الإقصـاء), les trois présidences, cette coquille importée du Liban comme toutes les chansonnettes de starlettes sans consistance …, termes vidés de leur sens, visant à endormir toute résistance à la stratégie du  tamakkon, c’est à dire l’emprise de la secte sur les rouages de l’Etat.

Ils ne se sont pas adressés au président de la république tunisienne en tant que citoyens, dont la participation à la chose publique est souhaitable, voir recommandable, mais en tant que militaires, se faisant prévaloir de leurs anciens grades et fonctions.

Si on ajoute que certains d’entre eux sont connus pour leur proximité de la secte intégriste, partagent ses positions sur des sujets de discorde, et ont occupé des postes clés dans l’Etat grâce à cette accointance, nous avons une idée sur la portée réelle de cet appel. Pour moi, il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’un acte de défiance au chef suprême des armées, visant à le soumettre aux manœuvres dilatoires de la secte intégriste.

S’adresser en des termes pareils au chef de l’Etat, le rendant implicitement unique responsable de la dégradation de la situation politique du pays, faisant fi des dispositions de la constitution qui ne lui accordent que peu d’attributions par rapport au parlement et au gouvernement, est pour moi un parti pris en faveur de ses adversaires.

Certains tunisiens voient d’un bon œil l’investissement de l’Etat par les forces armées à l’instar de ce qui s’est produit en Egypte, ne manquant pas de citer les «réalisations» de la junte sous les cieux pharaoniens.

Je suis moi-même officier supérieur d’un corps paramilitaire à la retraite, c’est la première fois que j’en parle en public, et j’espère que ce sera la dernière fois. Je ne me suis jamais fait valoir de cette qualité, ni appelé mes anciens collègues à adopter telle ou telle position vis-à-vis de la chose publique.

Par ailleurs, j’ai à maintes reprises exprimé clairement mon opposition à la manière dont Kaïs Saïed conduit les affaires de l’Etat.

Mais je reste toujours fidèle aux institutions de l’Etat, dont la présidence de la république, en tant qu’expression unique et exclusive de la souveraineté de l’Etat, un Etat que j’ai toujours servi dans le respect et le dévouement, sans me départager de ma liberté et de mes convictions.

J’appelle toutes les forces vives de la nation, toutes les tunisiennes libres et tous les tunisiens libres, à ne pas succomber à la facilité de la démission fataliste au profit du choix militaire, à se prendre en charge, à investir la scène politique, à adhérer dans les partis ou à en créer, et surtout, à faire barrage à la tentation militariste.

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