A la une

Par Hadi Sraïeb : 10 ans d’errance et d’égarement…. Cela n’a que trop duré !

Par Hadi Sraïeb : 10 ans d’errance et d’égarement…. Cela n’a que trop duré !

Nous allons parvenir, dans quelques jours, au terme d’une décennie tourmentée dont il faudra bien tirer les enseignements. Les historiens vont à coup sûr chercher à dégager les traits les plus saillants de cette période selon des angles d’approche et des méthodes qui leurs sont propres. Les uns insisteront sur les avancées en matière de libertés publiques et individuelles et s’attarderont sur la réfection du paysage politique et les changements institutionnels. Tandis que d’autres mettront l’accent sur les singularités et paradoxes de cette « transition » qui ne semble pas être tout à fait achevée ! Ce ne sont pas les questionnements qui manquent !

Bien que n’étant pas historien, mais témoin de ce cycle décennal qui s’achève, il nous apparait utile de revenir sur certains attributs récurrents plus directement liés à la sphère économique et sociale.

Il s’agit pour l’essentiel de deux constantes observées tout au long de cette décennie: l’incapacité criante des formations politiques à penser le devenir du pays et en miroir, la non moins hasardeuse, embarrassée et velléitaire « gouvernance » des affaires du pays. Deux dimensions qui s’alimentent l’une à l’autre.

L’absence de projet d’avenir s’est traduite par une fuite en avant dans la conduite de la politique économique. Réciproquement, les politiques publiques inconsistantes (budgétaire et monétaire), -qui plus est-, sclérosées par un endettement toujours plus insensé, ont réduit de proche en proche, année après année, les marges de manœuvre d’une bifurcation, d’une autre voie possible de développement.

Il n’est pas abusif de parler d’une « décennie perdue » même si cela mériterait d’être nuancé et relativisé.

Au demeurant l’idée même d’une autre trajectoire semble s’être dissipée, totalement consumée dans les affres du quotidien de nos concitoyens ! Le rêve volontariste du moment d’enthousiasme « travail, liberté, dignité » a fini par s’exténuer sur les tergiversations, faux-fuyants et autres turpitudes des gouvernements successifs et de leurs soutiens politiques. Pas l’ombre d’une réforme ! Pas l’ombre d’une avancée sociale !

La disparition du parti-Etat omniscient et omniprésent, a certes réouvert l’espace politique, elle n’a pas, pour autant, entrainé dans son sillage la dissolution des us et coutumes de la gestion des affaires !

A telle enseigne que les mœurs politiques sont restées résolument arrimer au « Consensus » et obséder par « l’Union Nationale » comme s’il s’agissait de normes ou prescriptions immuables valables de tous temps !

A aucun moment de cette longue période n’a pu apparaitre puis s’imposer le principe logique de toute démocratie: celui d’une majorité qui gouverne et d’une minorité qui s’oppose et avance un projet alternatif. La persistance de cette pratique du « consensus à tout prix », -une constante de l’ancien régime-, ne doit rien à la seule loi électorale, mais bien à l’intérêt tactique commun et partagé par les grandes formations politiques et constamment réitéré. Ces formations ont pourtant eu l’occasion d’imposer le « fait majoritaire », elles n’en ont rien fait ! Preuve s’il en est, le recours constant au « dialogue national », où suite à des tractations entre les principaux leaders, une dizaine d’objectifs (largement incompatibles entre eux) sont convenus permettant une redistribution des rôles et postes ministériels et autres prébendes.

Cette logique des arrangements et accommodements a été et reste la règle de tous les moments difficiles, singulièrement lors des épisodes de crise et de tensions sociales ! Cette formule désuète, totalement surannée présente néanmoins un avantage majeur, pour ne pas dire essentiel, celui d’éluder tout bilan objectif ou pour le moins discutable et par la même occasion de dissoudre toute responsabilité antérieure !

Pas moins de 10 gouvernements se sont succédé ! Au-delà des colorations, tantôt à dominante islamiste-libérale, tantôt nationaliste-libérale, sous des appellations diverses telles que gouvernement d’union nationale, gouvernement de compétences ; toutes ces combinaisons n’ont jamais réussi à infléchir la moindre des tendances lourdes à l’œuvre (héritées de la trajectoire passée) au plan social et économique. Les fractures siamoises: inégalités sociales et régionales sont demeurées inchangées si ce n’est, aggravées !

L’économie d’endettement et de clientélisme préexistante, s’est considérablement élargie et diversifiée !

Nul besoin d’égrener la kyrielle d’indicateurs statistiques et autres marqueurs plus qualitatifs témoignant de la détérioration continue de la situation, si ce n’est que pour préciser l’ampleur du désastre: A l’aube d’une nouvelle décennie, il ne manque pas moins de 10 Mds DT (3 Mds €) dans les caisses de l’Etat pour permettre à ce dernier d’honorer ses engagements extérieurs pour la seule année 2021 !

La rhétorique du redressement et du retour aux équilibres macroéconomiques va très vite devenir intenable face à l’exacerbation des contradictions tant intérieures qu’internationales. Avec l’amplification de la crise économique à l’échelle planétaire, attendue pour les deux ou trois prochaines années, le pays va se retrouver dans une impasse et l’action gouvernementale endiguée pour ne pas dire totalement paralysée !

10 ans de temporisation, de manœuvres dilatoires, de dissimulations, de fuite en avant, pour en arriver à ce qu’il convient d’appeler par son vrai nom: Une double faillite programmatique et de gouvernance !

Les élites qui se sont succédé alternativement au pouvoir et leurs soutiens ont cru pouvoir prolonger, -à quelques aménagements près, s’entend-, le paradigme socioéconomique général hérité du régime déchu.

La poursuite de l’ouverture économique s’est transformée en une extraversion incontrôlée (à en juger par le déficit croissant des échanges extérieurs). Le prolongement de la prévalence quasi-absolue accordée à l’initiative privée et la promotion des PME (sic), a fini par éreinter les recettes fiscales (incitations: 4% du PIB concomitamment à l’aggravation des déficits) et a induit, en bout de course, une détérioration puis la désagrégation des services publics. L’économie de rente couplée à des expédients de paix sociale, a fini par être débordée, -pour ne pas dire submergée-, par la déferlante de l’économie informelle et ses nouvelles baronnies. Que reste-t-il au bout de 10 ans…. un effroyable malentendu entre le peuple et ses dirigeants !

Peut-être aurions-nous dû être plus attentifs et plus exigeants ! Dès la toute première campagne électorale de 2011, il était possible d’observer une absence totale de différences entre les programmes des divers partis se revendiquant pourtant de visions radicalement opposées. Cela, c’est confirmé depuis !

Faillite de cette « pensée unique », assez largement partagée, faut-il ajouter ! Le réveil n’en sera que plus difficile ! Les trop fameuses « compétences nationales » n’en finissent pas de se débattre dans les contradictions de cette « économie compétitive », mercantile à souhait et pour ainsi dire dépravée !

Un prétendu pragmatisme qui a fini au fil du temps par se transformer en véritable dogmatisme !

Faire croire qu’il y aurait des recettes miraculeuses (autant dire peu douloureuses), pour sortir de la déliquescence généralisée dans laquelle s’enfonce le pays, est pour le moins un déni de réalité, ou pire une insanité ! Les appels du pied au FMI et à la communauté des bailleurs de fonds, l’invitation à un nième dialogue national, témoignent, -si besoin était-, de la fébrilité (bien que masquée), qui s’est emparée des classes dirigeantes et de leurs affidés. Report d’échéances de remboursement de dettes, abondement de la BCT, nouvel accord stand-by, gel de salaires et retraites, coupes sombres dans les budgets sociaux ; offriront possiblement un répit, mais surement une solution de rupture vers un nouveau paradigme de croissance plus soutenable et de développement socialement plus juste et plus harmonieux entre les régions ! Il n’y a pas, pour l’heure, de mouvement de panique, fort heureusement ! Au demeurant des signes avant-coureurs menacent ; ils pourraient déboucher sur la concurrence de tous contre tous!

Les esprits le plus alertes et les plus avisés ont en mémoire le drame grec ! Ils en tirent une conclusion irréfutable: celle de la nécessité de refonder un pacte social bien trop abimé par des années d’iniquité ! Une alternative qui n’a toutefois de chance d’aboutir qu’à la condition que la société citoyenne, -encore en déshérence-, s’en empare et la mène jusqu’à son terme !

A bon entendeur !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

Que se passe-t-il en Tunisie?
Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!

Commentaires

Haut