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Par Hadi Sraïeb – Coronavirus : « Retour à la vie normale » ou bien « Rien ne sera plus comme avant » ?

Par Hadi Sraïeb – Coronavirus : « Retour à la vie normale » ou bien « Rien ne sera plus comme avant » ?

En l’espace de quelques semaines, nous sommes passés de l’impensable dévastation de vies et de restrictions de nos manières d’être avec ce qu’elles comportaient de bienfaits et de préjudices, au chaos le plus total sous tendu par des incertitudes inouïes quant à notre devenir individuel comme collectif.

A la sidération de l’instant a aussitôt succédé le désarroi ! Allons-nous reprendre nos vies comme avant ? Si tout un chacun convient qu’il conviendra de corriger certaines erreurs commises, faudra-t-il pour autant bouleverser nos modes de travailler, de consommer, de prendre plaisir ?

Mais force est tout d’abord de constater l’effroyable imprévision et la tragique impréparation généralisée des nations les plus avancées de la planète qui s’en est suivie! C’est peu dire que rien n’a été prévu.

La prétendue stratégie de lutte contre la pandémie n’est en réalité qu’un choix par défaut (confinement distanciation) du fait du dénuement quasi absolu de moyens pour endiguer la propagation exponentielle de cette pandémie. Un choix forcé, dicté par le risque épouvantable de voir s’effondrer le système public de soins déjà passablement abimé. Un système sanitaire saigné par des années de politiques austéritaires délibérées et de gouvernances absurdes (comptabilité fondée sur la tarification à l’acte, fuite du corps médical vers le privé et l’étranger, réduction des budgets d’investissements et de formation, assèchement des stocks de consommables et de médicaments). Soyons juste, les choses auraient pu être bien pires !

Une protection civile désarmée : Pénurie effarante et déconcertante de masques, de tests de dépistage, d’auxiliaires de santé. Un réseau privé de soins aux abonnés absents ! Une hospitalisation privée plus préoccupée par sa clientèle solvable que d’apporter son concours massif au système public !

Une logistique chaotique en l’absence de bases de données actualisées disposant de fonctionnalités de ciblage et de réactivité. Le tableau serait bien plus sombre si l’énorme élan de solidarité n’était pas venu combler partiellement les défaillances et manquements des Etats. On en est là !

Un retour progressif à la normale est annoncé sans que toutes les inquiétudes légitimes ne soient véritablement levées : celles des risques de promiscuité sur les lieux de travail, dans les transports bondés et surchargés, à l’école dans des classes de plus de 30 élèves, des dangers d’un relâchement inconscient de la distanciation. Pas plus qu’il n’y avait de stratégie d’endiguement de la contagion, il n’y a pas de stratégie de déconfinement. Le gouvernement, comme celui de pays plus avancés, tâtonne, hésite et improvise.

Partout c’est un bégaiement entre diverses mesures, qui masque mal la peur des autorités devant une possible seconde vague de la pandémie. Tous les dirigeants observent leurs voisins. Les italiens esquissent une reprise partielle des activités. Les danois envisagent dès fin Avril une réouverture des écoles. Les autrichiens rouvrent prioritairement les commerces. Espagnols et allemands annoncent une sortie progressive du confinement le 4, la France le 11. Les pays baltes et de l’Est maintiennent un état d’urgence. Tout cela sur fond d’effarement de l’Union Européenne qui s’époumone à exiger « une sortie harmonisée et simultanée », alors que c’est bien l’ordre dispersé qui prévaut. Que dire de la première puissante mondiale ! Un effondrement sanitaire sans nom doublé d’une déroute sociale : 30 millions de chômeurs !

D’évidence le confinement comme pis-aller à la crise sanitaire ne peut perdurer sans provoquer à son tour une débâcle économique et sociale sans précédent. Son prolongement aurait des conséquences funestes sur les couches déclassées ou en voie de l’être mais aussi sur la santé physique comme mentale de nombre de nos concitoyens. Un confinement qui finirait par exacerber les tensions et un effondrement sans appel de pans entiers de la vie nationale, mais aussi une extinction des moyens publics pour tenter d’enrayer ce qu’il est convenu d’appeler « une descente aux enfers »…

Dé-confinement inévitable mais à l’évidence incontrôlé et à nos risques et périls ! Pour preuve s’il en fallait : Pas l’ombre d’un traitement fiable ni de vaccin disponible à un horizon de temps raisonnable!

Compter donc sur la seule responsabilité et prudence individuelle sonne comme la faillite de notre mode de vie collectif  sur fond de capitulation des élites ! Elle a bon dos la responsabilité individuelle !

Nous n’y couperons pas, renchérissent les prospectivistes et autres prévisionnistes sûrs de leurs lapalissades sentencieuses : après la pluie, vient le beau temps ! Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Certains vont jusqu’à prédire que tout finira par redevenir comme avant.

Mais voilà, nos certitudes les plus enracinées sont ébranlées ! Nos croyances les plus inaltérables dans le progrès économique continu, dans la mondialisation pourvoyeuse de bien-être sont mises à mal. La mise en péril des systèmes sanitaires, le désarroi de la communauté scientifique, la rupture des chaines d’approvisionnement, l’arrêt des activités, le chômage forcé de centaines de milliers de personnes, la peur panique de centaines de milliers d’autres devant le risque de famine ou la perte d’un proche…Tout cela débouche sur un ébranlement de la conscience individuelle et collective. Les convictions les plus ancrées ne jurant que par la compétitivité, la libre concurrence juste et non faussée, la toute-puissance du marché, la gouvernance sobre et neutre des pouvoirs publics, la libre circulation des marchandes et des capitaux.

Toutes ces certitudes profondément intériorisés resurgissent pour ce qu’ils sont en réalité, des conventions instituées, autrement dit des préjugés collectivement partagés. Demain pourrait être tout autre !

Nous ne voulons toujours pas croire que nous sommes une espèce parmi d’autres et que notre productivisme frénétique et consumérisme obsédant empiètent bien trop dangereusement sur la biodiversité (alimentation industrielle et vache folle), (déforestation et Ebola), (grippe aviaire et H1N1)

Il y a donc une cause commune à toutes ces épidémies : l’écosystème. Force serait de convenir de que nous n’en finissons pas de bouleverser les fragiles équilibres de nombreuses niches écologiques et de dilapider les ressources naturelles. Il y a toujours eu des épidémies, leur dissémination est invariablement la même : de la nature (bactérie ou virus) qui passe à l’animal et de celui-ci à l’homme. La littérature scientifique abonde, mais « nos têtes bien faites » n’y prêtent aucune attention. Dit autrement il y a un rapport direct entre notre mode de production et les dérèglements climatiques et les biodégradations! Bientôt plus d’eau dans le grand sud ! Une érosion des terres arables qui a déjà atteint une superficie équivalente à celle du Cap Bon. Un usage attentatoire de pesticides y compris de ceux interdits ailleurs. Un appauvrissement de la diversité des espèces sous le prétexte de rendement! Déforestation continue ! A quand l’arrêt de cette gabegie incontrôlée!

Au même moment, nos élites sont accaparées et obnubilées par la seule idée de la reprise économique : A quand le rebond de la croissance, c’est une priorité absolue ! Reste que la crise sera bien plus profonde et bien plus longue que ne le prévoient les experts et que ne veulent bien le dire les dirigeants au pouvoir.

Alors oui il faut sauver ce qui peut l’être encore, effort louable s’il en est !

Un sauvetage qui devrait s’accompagner de sérieuses mises en garde. Toute reprise ne pourra se faire que sous un régime de la sobriété. Un régime articulé autour de la diminution de l’ostentatoire et du superflu de grand confort. Du coup et sous ces auspices, la planification devrait retrouver toute sa place dans les outils de conduite du pays. Non pas tant comme un plan purement indicatif et formel mais bien comme un instrument de pilotage au même titre que la politique budgétaire ou monétaire.

Ce plan de sortie et d’une nouvelle trajectoire de développement devrait donner la priorité à :

La reconstruction d’une souveraineté alimentaire et énergétique ; la préservation de la ressource en eau; la relocalisation de productions industrielles jugées stratégiques pour le pays; la primauté donnée aux activités économiques tournées vers la satisfaction du marché intérieur. Le tout devrait être articulé autour d’une extension progressive des droits sociaux qui demeurent effroyablement et lamentablement le parent pauvre de la politique économique et sociale.

Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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