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Par Hadi Sraieb –Les oiseaux de mauvais augure….toujours aussi pontifiant !!

Par Hadi Sraieb –Les oiseaux de mauvais augure….toujours aussi pontifiant !!

Une expression aujourd’hui largement partagée qui trouve son sens premier dans la Rome Antique.

Il convient de s’y attarder un instant afin d’en élucider les tenants et les aboutissants.

Toutes choses d’une incroyable actualité. Pardonnez donc ce petit détour qui devrait être très éclairant sur la situation actuelle.

En effet, à l’époque de la Rome Antique, aucune grande décision ne se prenait sans que des devins aient cherché les présages à travers le vol ou les entrailles des oiseaux, ou bien encore des prédictions émises par les pontifes (ingénieurs des ponts) dont la connaissance du passé, des coutumes et de la tradition (par la mesure et les nombres) leur fournissait une sorte de légitimité incontestée dans ce que l’on qualifierait aujourd’hui de Droit Civil.

Si prestigieuses qu’aient été leurs positions respectives, les augures et les pontifes étaient de simples « consultants », dépourvus de « potestas » (pouvoir), qui ne donnaient leur réponse que si on les interrogeait.

Tous deux, répondaient sous une forme « oraculaire » et « non motivée »: celle des « responsa » (diagnostic), toujours formulées à l’impératif, suivies dans la foulée de prescriptions, sous la forme de rites, notamment sacrificiels, qu’il convenait d’observer pour maintenir la paix avec les dieux et entre les hommes ; en contrepartie, il est vrai, et tout de même, de larges rétributions et gratifications (voir Alain Supiot « La gouvernance par les nombre »)

Les ressemblances et similitudes avec ce qui se passe dans la sphère médiatique sautent aux yeux.

Une opinion crédule car peu familière des savoirs et des techniques socio-économiques s’en remet encore et toujours naïvement à des « sachants » qui courent de plateau en plateau TV pour asséner leur « vérité révélée » !

Ces  élites expertes (autre nom pour ces sachants) ont indubitablement troqué la vasque oraculaire contre une calculette ordinaire ou bien encore une feuille de tableur ! Ils manipulent données, ratios, et relations causales pour déboucher sur des jugements sentencieux (des réformes douloureuses !). Sans oublier toutefois de faire payer leurs prestations expertes et visionnaires, toutes choses bonnes à prendre pour arrondir les fins de mois.

 La forme leur importe autant que le fond. Usant abusivement d’un ton péremptoire et catégorique ces distingués experts profèrent des affirmations dont la logique est plus que douteuse ! Cela fait maintenant près de 5 ans, qu’ils nous prédisent année après année, l’imminence d’un défaut de paiement sur la dette extérieure. Il ne se passe strictement rien, du moins sur ce seul aspect ! D’autres vont jusqu’à évoquer un scénario à la libanaise, et l’effondrement économique du pays, omettant au passage de dire que l’économie libanaise est dollarisée.

En un mot : Le pays vivrait au-dessus de ses moyens (sic, toujours le même procédé de moyennisation) !

Usant de surenchères alarmistes voire catastrophistes, ils participent à la diffusion et à la propagation d’une atmosphère de défiance et de sauve-qui-peut délétère, éreintant et étouffant toute expression alternative de sortie de crise autre que strictement et sévèrement austéritaire, anéantissant du même coup toute velléité de sursaut collectif.

Loin de nous l’idée que ces dits experts seraient responsables à eux seuls de la désespérance et de la lassitude de fractions croissantes de l’opinion. Les réalités vécues, les dérives récessives témoignent du contraire.

Ils n’en contribuent pas moins à étouffer le débat contradictoire en imposant comme seule et unique solution (TINA: There is no alternative) les trop fameuses réformes dites structurelles dont manifestement des pans entiers de la population récusent la nécessité ou pour le moins l’utilité tant qu’un autre projet de société économiquement plus viable, socialement plus équitable, et écologiquement plus soutenable n’est pas avancé.

Certains de ces dits experts frisent le charlatanisme !

Bien plus préoccupés de la portée de leur discours, quitte à prendre quelques libertés avec les faits, ou encore avec les réalités historiques, ils cherchent avant tout à marquer les esprits usant d’artifices langagiers insolites et saisissants appuyés par une argumentation stupéfiante et retentissante. Buzz et audimat, il est vrai, font depuis longtemps bon ménage !

Les chaines radio et TV mais aussi la presse écrite se disputent ces experts comptables (mais pas qu’eux !), qui, du haut de leur tropisme (culture professionnelle), se croient autoriser, sans le moindre recul ni la moindre nuance, à commenter l’actualité sociale et économique et à asséner des contrevérités, quand ce n’est pas de prédire ou pronostiquer (à l’image des cartomanciennes qui tirent les cartes) les pires calamités à venir !

Convenons toute de même que tout le monde a le droit de s’exprimer ! Mais on est tout de même frappé par cette surreprésentation de commentateurs qui n’ont qu’un lointain rapport avec les méthodes et les outils de la démarche économique et qui confondent leurs catégories comptables avec celles de l’économie politique.

A telle enseigne et à titre d’illustration, il est courant d’entendre dire que l’ancien régime avait laissé une situation financière saine : l’endettement n’excédant pas 40% du PIB.

C’est tout de même occulter et passer sous silence que la dite rigueur de l’ancien régime a été obtenue suite à une vague exceptionnelle de privatisations : Pas moins de 208 opérations ayant rapporté au Trésor Public plus de 8 Mds DT (de l’époque).

Autre illustration : Ces sachants vouent un culte sans bornes aux agences de notation dont ils commentent les ajustements périodiques et les changements de notes et par là, les conséquences inéluctables qui faudrait en tirer !

Comme si les jugements (en réalité des opinions) de ces « nouveaux oracles » résultaient d’une stricte rigueur intellectuelle et scientifique aux limites du « sacré » oubliant que ces mêmes institutions n’ont jamais vu venir la moindre crise et que 90% des titres financiers notés AAA ont basculé en 2008 en quelques semaines en notes C. A l’évidence, certains de ces dits experts, s’engagent dans des raisonnements dictés par les conclusions qu’ils veulent atteindre en fonction de leurs propres intérêts voire possiblement de leurs propres choix politiques.

La consécration et apothéose de ce simulacre aux limites de l’imposture advient une fois par an, lors des débats sur la « sacro-sainte » Loi de Finances (c’est peu dire), dont tous ces experts savent pertinemment qu’elle ne reflète que très partiellement (mais partialement) la réalité de la situation financière de l’Etat.

Il y a, en quelque sorte, chez ces commentateurs une fascination pour le chiffre qu’ils mettent en regard d’autres chiffres sans jamais interroger la réalité à laquelle les uns et les autres renvoient.

Un exercice de pur style académique, hors-sol, répété année après année même si, ici ou là, des dispositions spécifiques affecteront certaines catégories sociales et pas d’autres.

Rien ne sera évoqué ni débattu des engagements hors loi de Finances comme les reliquats croissants d’impayés, les décaissements à venir ou les garanties à honorer, toutes choses bien plus sérieuses que de discourir sans fin sur les hypothèses budgétaires retenues comme la taux de change ou le prix du baril de pétrole !

Débats contradictoires, certes utiles, mais qui tiennent surtout lieu de diversion sur l’essentiel: l’absence de réflexion sur la nécessité d’une profonde réforme fiscale et bien d’autres questions tout aussi lancinantes et urgentes !

Le pays traverse une crise profonde, qui par ailleurs ne cesse de s’aggraver ! Toutefois trop d’oiseaux de mauvais augure en rajoutent comme si cela ne suffisait pas ! Mais comme nous le répétons souvent, avec Daniel Bensaïd « l’intensité du sentiment de nouveauté est souvent proportionnelle à la perte de mémoire ».

Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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