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Par Hadi Sraïeb: L’obsédante croyance dans les oracles de la notation !

Par Hadi Sraïeb: L’obsédante croyance dans les oracles de la notation !

Nos fringants et distingués économistes continuent à se prosterner devant les nouveaux oracles que sont devenues les agences de notation.

Pour l’opinion publique délibérément désinformée, les agences de notation sont des organismes « indépendants » (les guillemets sont importants) chargés d’évaluer le risque de non remboursement de la dette d’un État, d’une entreprise ou d’une collectivité locale.

Ces agences donnent une opinion censée reflétée objectivement la solvabilité des emprunteurs. Une opinion qui se traduit comme chacun sait par une note allant du triple A à D.

Les agences de notation apportent donc aux investisseurs (banques, assurances, fonds divers) une information sur la qualité d’un émetteur.

Elles évitent donc à ces derniers de faire le travail long, coûteux et difficile d’analyse du risque de l’émetteur. Et pourtant l’information est gratuite pour l’investisseur.

Mais alors qui paie ce service ? Un peu d’histoire est toujours utile !

Au départ, les notations visaient les emprunts des entreprises et des banques privées exclusivement.

Mais au tournant des années 80, ces agences ont développé un activisme forcené visant à étendre cette notation aux Etats souverains et à l’ensemble des nombreux émetteurs publics d’emprunts.

Dans le cas des risques souverains, les banques d’affaires sont venues soutenir les agences de notation auprès des Etats leur précisant que, sans notation, le coût de leurs emprunts serait supérieur.

A la clé de ce qui s’apparente à un véritable chantage des grandes banques occidentales, on aurait pu croire que les chefs de file des émissions (ces mêmes banques), paieraient, malgré tout, pour ce service qui leur permettait de ne plus se préoccuper du crédit des Etats, confiant aux agences de notation, trop contentes de faire le job.

Mais c’était sans compter sur les énormes moyens de pression de ces banques qui réussiront à faire payer par les Etats ou leurs organismes publics, des notations en leur vendant cette même idée que cela réduisait notablement leurs coûts d’émission.

S’il est vrai que ces agences de notation ne demandent ordinairement aucune rétribution en contrepartie de la note attribuée annuellement aux Etats dans la mesure où la diffusion de la note souveraine leur assure une belle publicité, il en va tout autrement des émetteurs publics ou parapublics (offices, banques, entreprises, CDC) qui au même titre que, les entreprises privées, les banques, les sociétés d’assurance paient pour être notées.

La collusion entre l’absence d’analyse de crédit par les grandes banques et les activités lucratives des agences de notation a produit le système parfait que nous connaissons aujourd’hui.

Aussi et autant le rappeler d’emblée, les agences de notation ne sont pas des associations caritatives. Ce sont en réalité des entreprises privées dirigées par un actionnariat dont nous allons dire quelques mots.

Comme toute entreprise privée, elle est rémunérée pour les services qu’elle rend. Jusque-là rien d’anormal.

Toutefois la notation est un « business model juteux » comme en témoigne la forte rentabilité de ces agences. Les trois « big three », Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, dégagent en moyenne des profits considérables s’élevant à près de 50% de leur chiffre d’affaires. Excusez du peu !!!

En effet, pour les émetteurs de dettes privées comme publiques, cette dépense est tout à la fois contrainte (obligatoire) et onéreuse !

L’émetteur n’a véritablement pas le “choix” dans la mesure où vouloir emprunter sur le marché financier sans avoir été noté au préalable revient à aller demander un prêt à sa banque sans fournir des fiches de salaire et de garanties. La banque prêtera possiblement mais à un taux usuraire !

Quant au coût et sans pouvoir ici aller plus dans le détail, la production d’une note (rating) par une agence, avoisine 0,05% du montant de l’émission d’un emprunt.

Or elles sont trois ! Sortez donc votre calculette et observez ce que nous coûte une sortie sur les marchés financiers internationaux. Un marché captif et hautement rémunérateur !

Ce n’est pas pour rien que « la prestigieuse agence Moody’s » est contrôlée par « l’honorable investisseur de long terme” Warren Buffet, qui en est l’actionnaire majoritaire avec 12,5% du capital (2 Mds US$, 1200 notateurs, 30% de part de marché).

Ni moins encore de Standard & Poor’s contrôlé par le groupe de média nord-américain McGraw-Hill (2.9 Mds US$, 1350 notateurs, 40% du marché).

Sans oublier Fitch passé en 1997 sous le contrôle de Fimalac, la holding financière de l’homme d’affaires français Marc Ladreit de Lacharrière (850 M US$, 1000 notateurs, 15% du marché): Un joyeux partage, tout ce qu’il y a d’oligopolistique, à l’opacité des méthodes de notation, aux potentiels conflits d’intérêts, sans que personne ne trouve à redire ! Pas même notre intelligentsia économique ni moins encore notre presse pusillanime et dévote !

Pourtant il y aurait beaucoup à redire sur l’objectivité et l’indépendance de ces agences qui continuent à faire la pluie et le beau temps, sur ces prétendus gendarmes des marchés aux secrets bien gardé.

De fait et tout au long de ces dernières décennies ces agences ont multiplié les ratages et les bévues, quand ce n’est pas des erreurs grossières mais tragiques !  

Leur principe de fonctionnement majeur aurait dû alerter depuis longtemps : « l’émetteur étant le payeur de la notation » induit inévitablement des risques de partialité, de manque d’objectivité effective, un peu comme ceux de l’honorable profession d’experts-comptables ! Toute coïncidence ou ressemblance avec des situations réelles ne saurait, bien évidemment, être que fortuite….. Mais il y a bien plus grave !

Ces agences ont régulièrement manqué d’anticipation et de crédibilité. Elles n’ont vu venir aucune des grandes crises financières : Celle des Etats sud-américains des années 80, puis celle des pays du sud-est asiatique des années 90, ni celle d’Enron, pas plus que celle de 2008 (subprime) de Merrill Lynch notée triple

A, la veille de sa faillite, ou plus près de nous encore celle de la Grèce. Pire encore, leurs notations injustement alarmistes ont le plus souvent eu des effets pro-cycliques accentuant les crises en récessions plus profondes.

Que dire de leur ingérence inappropriée dans la politique économique interne de certains pays en difficulté et du surcroit de pouvoir qu’elles exercent sur leur sort !

Alors mesdames, messieurs, les commentateurs dépités et déçus de la énième dégradation de notre note souveraine, vous seriez mieux avisés de passer outre, et de vous occuper enfin de l’essentiel: Reconstruire une crédibilité qui fait tant défaut, car a contrario de ce que ce petit monde croit, ce n’est pas tant l’argent qui manque mais bien l’absence de toute vision prospective et de projets économiques innovants et socialement soutenables qui la sous-tendent, (bien au-delà de la simple création de valeur marchande dont on sait désormais qu’elle constitue un impasse) ! Dérisoire cette note triple C quand les sécurités alimentaire et énergétique sont menacées.

Le FMI semble l’avoir compris dans la mesure où il envisage à demi-mots, pour les pays les moins avancés (excuser du doux euphémisme), de leur venir en aide, en financement le surcoût de leurs approvisionnements !

Engluées dans la doxa économique dominante, nos élites littéralement aliénées, confirment leur incapacité à penser en dehors, des postulats, modalités et logiques fixées par cette doctrine néo-libérale.

Raisonnements et affirmations sont sans fondements sinon idéologiques. N’est-il pas consternant de voir ce milieu académique, un grand nombre d’économistes et la quasi-totalité des dirigeants politiques qui n’avaient d’yeux jusqu’ici que pour la croissance et l’emploi, se muer en chantre de l’orthodoxie budgétaire et en ardents défenseurs du « sang et des larmes » ?

Pas l’ombre d’une proposition vivifiante et porteuse d’espoir, mais une pensée de plus en plus étriquée, obnubilée, polarisée par la seule question du « bouclage financier » !

A dire vrai nombre d’entre eux sont devenus des adaptes, pour ne pas dire des disciples de la chrématistique (grec: tout réduire à la valeur monétaire ou à la forme argent).

Tous réclament à cor et à cri l’argent du FMI mais sont honteusement aphones quand il s’agit d’expliciter les contreparties austéritaires calamiteuses pour une large fraction de la population !

Il est grand temps de sortir de cette inféodation de la pensée économique aux « vérités révélées » de la notation (et autres chimères),  qui n’est jamais et en réalité, qu’une opinion produite par une entreprise privée détenue par des investisseurs privés qui en exigent une rentabilité et donc des dividendes.

Une opinion non transparente (absence totale d’informations analytiques sérieuses publiées autres que celles d’enfoncer des portes ouvertes) et qui plus est au timing douteux (Nous serions logés à la même enseigne que le Liban).

 

Hadi Sraïeb, Docteur d’Etat en économie du développement

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