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Par Abdelaziz Gatri : L’avocaillon des diables

Par Abdelaziz Gatri : L’avocaillon des diables

Certains amis, dont des avocats, sans doute animés de bonne foi légitime, rechignent à prendre la défense d’individus inculpés des crimes les plus odieux : attentats terroristes, viols, corruption…

Je le dis tout de suite : si j’étais avocat et que la défense d’un individu accusé de terrorisme m’était confiée soi par l’intéressé lui-même, soit par sa famille ou par commission d’office, je l’accepterais volontiers. Mieux encore, je le ferais avec autant de compétence, de professionnalisme et, pourquoi pas, d’abnégation, que j’userais de tous les moyens légaux pour le défendre, que j’exploiterais toutes les erreurs de procédure, que je traquerais tous les vices de forme et toutes les failles de l’instruction, et que s’il m’était possible de le faire acquitter, j’aurais la conscience tranquille du travail bien fait.

Pourquoi, donc, me diriez-vous ? Me suis-je tout à coup converti à la doctrine terroriste ? Oh, que non, bien sûr. Je demeure un ennemi déclaré et un opposant acharné aux terroristes de tous bords et à leurs soutiens installés dans les instances de l’Etat, terrés dans les associations sous-terraines et dans les cellules dormantes et à leurs commanditaires et pourvoyeurs de fonds nationaux et étrangers.

Mon principal argument est la constitution tunisienne et son article 27 inspiré de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen qui stipule que tout inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité, au cours d’un procès équitable qui lui assure toutes les garanties nécessaires à sa défense en cours de poursuite et lors du procès. Il en découle que le citoyen lambda contre lequel l’Etat représenté par le ministère public dans toute sa puissance et par son armée de juges d’instruction, d’officiers de police judiciaire et d’auxiliaires de  justice demeure innocent au moment où j’ai décidé de prendre sa défense. La présomption d’innocence est ainsi un élément fondamental des droits des citoyens face à la machine de l’Etat.

Mon deuxième argument découle de ce même article qui subordonne l’établissement de la culpabilité de l’inculpé  à un procès équitable qui lui assure toutes les garanties nécessaires à sa défense en cours de poursuite et lors du procès. Il en découle que la force juridique et morale  du verdict prononcé en fin de procès est tributaire de la force de la défense, et que si les droits de la défense sont bafoués ou que la défense est maladroite, le procès sera entaché et inéquitable. Les conséquences seraient catastrophiques sur la crédibilité des décisions de justice, notamment quand il s’agira par la suite d’en demander l’application par les tribunaux étrangers à la faveur de la procédure d’exequatur et de faire admettre les mandats d’amener par les instances internationales concernées. Ceux qui en doutent encore n’ont qu’à passer en revue les condamnations prononcées par une justice tunisienne expéditive contre les Ben Ali, les Trabelsi et les Matri et restées lettre morte, sans application à ce jour, parce qu’entachées d’irrégularités. C’est l’un des obstacles majeur au rapatriement des avoirs mal acquis.  C’est que si ici, par incompétence, par pure bêtise ou par intérêt et complicité tout simplement, on prend à la légère les droits de la défense, ailleurs on ne badine pas avec ces choses-là. Le risque majeur reste de faire condamner des personnes innocentes en fin de compte.

Voilà qui est dit.

Mais il y a un grand mais. Défendre un citoyen devant un tribunal par conscience professionnelle dans le but de conférer le caractère d’équité à un procès est une chose, mais prendre fait et cause pour l’inculpé en épousant son idéologie à coups de justifications tordues et autres alibis improbables comme le fait cet avocaillon de Makhlouf en est une autre.

Ce triste sire, issu des non moins tristes LPR dont les membres sont d’anciennes barbouzes du régime Ben Ali et de ses beaux-frères convertis en révolutionnaires de la 25ème heure avec une teinte islamiste, est aussi célèbre pour son pied-de-nez adressé au procureur de la république de Sidi Bouzid. « Monte à Tunis si t’es un homme », lui a-t-il lancé, suite à sa décision de fermer la non moins triste école de Regueb où des imams enturbannés s’étaient spécialisés en transformation d’enfants en apprentis terroristes à coups de versets coraniques, ne manquant pas de les violer au passage. Le procureur en question et la justice ayant pris trop de retard pour engager des poursuites contre lui, il s’est arrangé, à la faveur d’élections frelatées, pour se faire député à l’ARP, devenue pour l’occasion un repaire pour contrebandiers notoires, évadés fiscaux, corrompus, blanchisseurs d’argent et autres figures de l’intégrisme qui s’y sont installés confortablement pour narguer le peuple floué, au nez et à la barbe de la justice, profitant de l’immunité, de salaires conséquents, de la couverture sociale et d’un régime de retraite spécial que leur procure leur nouveau statut. Ils ont poussé le culot jusqu’à présenter un projet de loi pour s’auto attribuer des passeports diplomatiques. Vivement les permis de port d’armes et l’autorisation de convoler en secondes noces.

L’assemblée est souveraine (المجلس سيد نفسه),  disait l’ancien rapporteur de la constituante, devenu pour l’occasion chef de cabinet du président de l’ARP, président d’Ennahdha, l’aile locale de l’internationale intégriste des frères musulmans.

C’est ce soutien indéfectible aux terroristes de tous bords et aux groupuscules qui les couvent, cette impunité contre la loi consacrée par l’immunité parlementaire qu’ils se sont offerte, cette couverture autant politique, judiciaire, financière que médiatique accordée aux terroristes, profitant de la tribune libre que leur offre le parlement et les médias publics inféodés, qui brillent comme un feu vert adressé aux cellules dormantes autorisant le passage à l’acte.

Coup sur coup, pendant la semaine qui a précédé l’attentat d’Al Bouhaïra, on a vu un député venu d’un autre temps faire l’éloge de l’accusation d’apostasie (التكفير) pourtant bannie par la constitution à la faveur de laquelle il s’est fait élire et pour le respect de laquelle il a prêté serment. On a vu aussi une députée se faire malmener par ses collègues dont l’une est aller jusqu’à l’insulter en lui lançant :« femme de flic, va ». Ses propos ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd et elle doit bien être contente, car la femme du « flic » qui s’est fait descendre dans l’attentat est aujourd’hui veuve et ses enfants orphelins. La veille de l’attentat en question survenu aux alentours de l’ambassade américaine, Hamadi Jebali et Ali Laraîedh, respectivement chef du gouvernement et ministre de l’intérieur d’Ennahdha qui ont laissé faire le sac et l’incendie de cette même ambassade il y a sept ans par les hordes de Ansar Chariaa escortées par les forces de l’ordre, sont venus se pavaner sur l’antenne de la tv nationale accompagnés par Habib Essid en cache-misère, expliquant avec force arguments que la violence politique qui a caractérisé leur passage était le fait « des ennemis de l’Etat et de la révolution », dans un déni total de leur responsabilité politique et juridique du fait de la protection qu’ils ont fournie aux agresseurs, de la couverture de leur retrait et de la fuite de leur chef de la mosquée Al Fatah.

Le soir de l’attentat, la même chaine, sans doute sous la main-mise de la mouvance islamiste, offrait, encore une fois de trop, une tribune à Makhlouf qui n’a pas raté l’occasion de se vanter d’être en effet l’avocat de l’un des terroristes. Sur sa page Facebook il s’est exclamé « oui, je suis l’avocat de l’un des deux jeunes qui se sont fait exploser aujourd’hui », ne manquant pas de justifier leur acte par une condamnation, trop sévère selon lui : « ils n’ont pas été condamnés pour port d’armes, ni pour attentat à l’explosif, ni pour être montés à Chaambi, mais pour un simple post Facebook », ajoutant que « l’emprisonnement, la torture, les arrestations répétées, le contrôle administratif…peuvent conduire à la rancune et à des actes irrémédiables ».

Il a simplement oublié, tout avocat qu’il est, de dire que les posts Facebook incriminés étaient consacrés à l’apologie de la violence et à la glorification du terrorisme, propos assimilés au terrorisme par la loi.

Les auteurs de l’acte qui a couté la vie à un « flic », fait cinq blessés et risque de compromettre la saison touristique en préparation ne sont que la partie immergente de l’iceberg de la nébuleuse intégriste, le percuteur qui produit le choc brutal et la déflagration. Il n’y aura donc aucun espoir de mettre un terme au terrorisme tant que la main qui a concocté la charge explosive et placé le projectile dans la chambre, et le doigt qui a appuyé sur la gâchette jouissent de la protection des institutions de l’Etat et usent de ses tribunes officielles pour diffuser leur venin.

Abdelaziz GATRI. 

Expert-conseiller, opérations de commerce international, contentieux douanier.

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