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Par Hadi Sraïeb : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace »

Par Hadi Sraïeb : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace »

Une réplique empruntée au révolutionnaire Danton qui, -en septembre 1792-, par cette harangue exhorte le peuple et sa représentation à se mobiliser afin de battre les armées européennes coalisées qui cherchaient à envahir la France et à écraser dans l’œuf la jeune révolution.

A l’évidence il y a peu de rapport avec la situation chaotique et ubuesque, par certains côtés, que traverse le pays. La suite du propos pourrait mieux éclairer les raisons de ce titre qui ne dit jamais que « A situation exceptionnelle… réponse exceptionnelle !» La pandémie ayant été jugulée par on ne sait quel miracle (si ce n’est la bravoure des personnels de santé), il reste désormais à faire face à ses conséquences dommageables et attentatoires aux conditions de vie de la population et à ses multiples activités. Nul besoin ici de rappeler les mesures d’urgence prises pour enrayer l’hémorragie des différentes branches et secteurs économiques, touchés de plein fouet. Et bien qu’il soit difficile d’en apprécier les effets, en l’absence de tout bilan, le pays s’apprête, à quelques jours du début de l’été, à reprendre une vie somme toute « normale ». Mais une normalité sur laquelle il y aurait beaucoup à dire tant l’amplitude et la profondeur des prolongements de cette crise sont encore peu visibles et prédictibles. Au demeurant, certaines entreprises ne se relèveront pas, quand d’autres mettront plus de temps à retrouver leur équilibre. Il y aura donc, comme partout ailleurs, cessation d’activités ou reprise en sous-régime avec au bout licenciements secs. Le paysage va s’en trouver considérablement bouleversé, mais dont l’ampleur ne sera évaluable qu’en toute fin d’année, du fait du grand nombre de paramètres tant intérieurs qu’extérieurs qui interfèrent dans sa détermination.

Dès lors, des choix politiques devraient être débattus, décidés, puis mis en œuvre : Faut-il une politique vigoureuse mais uniforme de relance budgétaire visant à sauver l’essentiel des activités et à tenter de repartir sur la même trajectoire ? Ou convient-il de changer de cap et consacrer les moyens disponibles à de nouveaux secteurs et activités promis à un avenir porteur? La première option permettrait à de nombreuses entreprises non compétitives de survivre, faussant un peu plus le libre jeu du marché. Une approche qui aurait aussi pour effet désastreux de faire exploser la dette publique ! Ou bien faut-il une intervention publique plus sélective et par là ciblée aux seuls secteurs jugés stratégiques et d’avenir, n’obérant pas les faibles moyens encore à la disposition de l’Etat.

A vrai dire ce dilemme ne semble pas encore être perçu comme tel, sauf à être évoqué du bout des lèvres à propos des seules entreprises publiques en grande difficulté! Faut-il s’attendre alors à une vague de privatisations voire aussi de liquidations, qui permettrait de se débarrasser de tous les « canards boiteux », et du même coup d’augmenter les recettes de l’Etat, lui redonnant les marges de manœuvre qu’il n’avait plus! Si ces questions effleurent les esprits de tout un chacun ; elles n’en ont pas pour autant une traduction dans le débat politique. Il est vrai que ce dernier est à mille lieux de ces questions vitales pour le pays, englué qu’il est, dans des querelles mémorables qui n’en finissent pas !

Pathétique représentation nationale! Pourtant le gouvernement va devoir décider et s’engager!

Soit il tente le maintien du statu-quo ante, mais qui s’apparente alors un nouvel immobilisme sans grands risques (satisfaisant au passage les milieux d’affaires) dans le droit fil des années passées ! Soit il esquisse une nouvelle orientation en cherchant à promouvoir de nouvelles activités, ce que d’aucuns nomment « les nouvelles opportunités de développement ». Oui, mais lesquelles ! Tous ne parlent pas de la même chose !

Avec le grand chambardement de la globalisation auquel on assiste et les ruptures des chaines de production, le naufrage de pans industriels entiers seront inexorablement suivis de réorganisations-relocalisations, il y a donc lieu d’entrevoir des opportunités, nous disent les chantres de la mondialisation. Mais des « opportunités » qui n’ont d’intérêt véritable que pour les secteurs sous-traitants et exportateurs, sans effet induit autre qu’une possible mais réduite création d’emplois ! En la circonstance, il convient d’être prudent car ces possibles relocalisations ne se feront qu’avec des technologies hautement automatisées afin de compenser le différentiel de coût du lieu de production d’origine.

Les fameux « avantages compétitifs du site Tunisie » risquent d’être tout à fait insuffisants!

La crise a eu beau révélé les déficiences et les aberrations de notre trajectoire économique, la férocité et l’iniquité de ses conséquences sociales, il se trouve encore trop d’experts « avisés » pour en vouloir le prolongement: En somme vers toujours plus d’extraversion. La réflexion stratégique n’a pas avancé d’un iota! Le développement reste enfermé et captif d’une vision économiciste et mercantile à souhait! Certes, il faut de nouveaux investissements permettant un redéploiement du tissu économique et la production de nouveaux biens débouchant ultérieurement sur un nouveau progrès social! Phrase-clé de tout distingué économiste, mais en réalité un sophisme confus et vague, en clair un énoncé vide de sens! Car les questions incontournables: Que produire ? Comment ? Et pour Qui demeurent sans réponses pertinentes.

A contrario de cette vision de la primauté donnée à l’export et aux marchés extérieurs, les solutions sont à rechercher du côté des gisements d’innovation, de professionnalisme latent qui n’ont pas trouver jusqu’ici les potentialités de leurs déploiements, en l’occurrence les viviers d’employabilité des formés aux « sciences de l’information » comme ceux issus des « sciences du vivant ». De fait, la démonstration de l’excellence de ces domaines professionnels n’est plus à faire. La preuve est quotidiennement assénée tant au plan intérieur qu’au plan international. Informaticiens de tous niveaux, biologistes, médecins, ingénieurs, hydrologues, autour de diverses spécialités, rivalisent de savoir-faire et de talents avec leurs homologues des pays les plus avancés. C’est donc de ces gisements en sommeil qu’il faut repartir pour enclencher une nouvelle trajectoire et donc inverser la logique du paradigme de développement. Des viviers aujourd’hui corsetés, bridés, qui ne trouvent à s’exprimer qu’en fuyant le secteur public, voire aussi le pays en s’expatriant. On pourrait alors reposer la question à nos experts de la gouvernance par les nombres : ça coûte combien le « Brain-drain » ? Cette fuite considérable et inexorable des cerveaux ?

Nul doute que la nouvelle équipe gouvernementale en a une parfaite conscience. Mais alors on est en droit de s’interroger sur les raisons qui font que rien ne se passe. Un plan de relance ! Oui mais de quoi ?

La séquence actuelle, mélange de désarroi, de scepticisme, d’incertitude et de flottement est précisément propice et opportune pour un changement de cap. Il resterait à ce gouvernement de s’en donner les moyens.

La question est posée : La fragile coalition au pouvoir, a-t-elle véritablement la volonté, pour ne pas dire l’audace de s’engager dans cette direction et répondre favorablement aux attentes de ces cohortes actuelles et à venir de professionnels aguerris de secteurs promis à un avenir favorable mais alors et du même coup, mettre un frein à la simple logique de sauvetage d’un existant sur le déclin voire condamné à terme !

Rechercher de nouvelles opportunités d’exportation sans avoir préalablement et un tant soit peu revitaliser, diversifier, renforcer la base productive nationale et par là le « marché domestique » est du même acabit que la logique du FMI recommandant de laisser « filer le dinar » pour rééquilibrer les échanges extérieurs, mais omettant au passage de s’assurer que les capacités de production étaient bien en mesure de fournir ce surcroît d’exportations. C’est fou ce que certains spécialistes font passer pour de « l’intérêt général » pour ce qui n’est en réalité que leur propre intérêt ou plus prosaïquement leur propre idéologie du devenir de ce pays et des besoins de sa population ! Sauver des activités technologiquement dépassées, faiblement créatrices de valeur ajoutée comme d’emplois qualifiés, qui plus est sur des marchés en déclin et consacrer simultanément d’importants moyens (sunk funds) à l’essor  de nouvelles activités permettant une reconsolidation progressive du marché intérieur et sa demande de travail…n’est évidemment pas possible ! Loin de nous l’idée d’arbitrer de tels choix ! Seules les forces vives du pays, la représentation nationale et la coalition gouvernementales peuvent en délibérer et en décider.

Toutefois et à la croisée d’opinions confuses quand elles ne sont pas chimériques, le pouvoir politique pourrait saisir sa chance,- fenêtre conjoncturelle peut être unique avant longtemps-, de passer audacieusement du « fait à accomplir » en « fait accompli ». Un « Fait accompli » dont le gouvernement semble avoir acquis une certaine maîtrise avec l’augmentation inopinée des frais consulaires ou bien encore de la sur-taxation des produits de compte d’épargne à terme ; sans que cela ne soulève des tollés de réprobation ! Mais à coup sûr le risque est là ! Celui de décevoir, voire de s’exposer aux foudres de milieux d’affaires formels comme informels obnubilés par la préservation de leurs rentes de situation surannées !

Du coup…. Qui ne tente rien n’a rien, dit l’adage !  Les prochaines semaines nous éclaireront !

Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement

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