Société

Féminicide en Tunisie: Un fléau qui s’installe…

Féminicide en Tunisie: Un fléau qui s’installe…

Le féminicide, tel qu’il a été défini par l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes), est la forme la plus extrême de violence contre les femmes et leur inégalité.

On le confond souvent, dans les textes de lois, avec l’homicide, ce qui rend la classification des crimes un peu plus compliquée, mais nul ne peut nier que c’est un vrai phénomène sociétal en recrudescence. 

Les femmes; des cibles privilégiées tout au long de l’Histoire…

L’Histoire, d’une manière générale, nous enseigne que des femmes ont été lapidées, enterrées vivantes, tuées, éventrées voire même brûlées vives par leurs proches… Elles avaient des noms et des vies différentes mais elles se ressemblent sans même le savoir; le même destin: une triste fin.

Tout commence par un simple “NON”, le refus pourrait concerner la violence, le harcèlement, la séparation, les tromperies ou autres…

Au début, une dispute éclate, une claque, des coups de pieds puis la mort…sous les yeux des enfants.

Comme l’a dit Simone de Beauvoir ” Il suffit d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient mis en danger. Ces droits ne sont jamais considérés comme acquis ; vous devez rester vigilant tout au long de votre vie “.

Féminicides en Tunisie: Un fléau, un vrai…

En Tunisie, la violence à l’égard des femmes est définie à l’article 3 de la loi 58-2017 comme étant « toute atteinte physique, morale, sexuelle ou économique à l’égard des femmes, basée sur une discrimination fondée sur le sexe et qui entraîne pour elles, un préjudice, une souffrance ou un dommage corporel, psychologique, sexuel ou économique et comprend également la menace de porter une telle atteinte, la pression ou la privation de droits et libertés, que ce soit dans la vie publique ou privée ».

Selon le même article, le meurtre d’une femme désigné par le terme homicide est une violence physique qui est « tout acte nuisible ou de sévices portant atteinte à l’intégrité ou à la sécurité physique de la femme ou à sa vie, tels que les coups, coups de pieds, blessures, poussées, défiguration, brûlures, mutilation de certaines parties du corps, séquestration, torture et homicide. »

Etant le pionnier pour les droits des femmes dans le monde arabe, les lois ne manquent pas dans ce pays dont la fameuse loi n°58 précitée, c’est plutôt le système de protection et de suivi qui est pointé du doigt par les militants et jugé d’inefficace puisque les femmes continuent tous les jours à mourir sous les coups.

Et ceci, est prouvé par les chiffres terrifiants qui illustrent une réalité cauchemardesque: la recrudescence des féminicides qui se poursuit dans l’indifférence de la société.

Plus de 10 féminicides en moins de 6 mois…

Refka Charni, tuée par son mari agent de la garde nationale à coups de balles le 10 mai 2021, un crime qui a bouleversé l’opinion publique tunisienne.

Wafa Sebai immolée par son ex-mari le 29 octobre 2022 et tant d’autres femmes ont été assassinées par leurs partenaires. Des destins singuliers, dont le point commun est d’avoir subi l’emprise d’un mari, ex-mari ou partenaire jusqu’à en mourir.

Des mères, des sœurs, des filles et des femmes âgées ont été victimes d’assassinats de la part de leurs père, frère, fils ou autre membre masculin de la famille ou parfois même par un inconnu, tel le cas de Rahma Lahmar 29 ans, retrouvée dans un fossé à Aïn Zaghouan dans la banlieue de Tunis, quatre jours après que sa famille eut signalé sa disparition alors qu’elle rentrait du travail. Certaines personnes ont appelé à l’application de la peine de mort contre l’assassinat des femmes” lit-on dans le rapport de l’UNFPA.

Et ce n’est pas tout…

Souad Souidi, mère de deux filles, a été étranglée à mort par son mari le 13 avril dernier à Nasrallah relevant du gouvernorat de Kairouan.

Le 15 avril, une femme a été tuée par son époux. Elle a reçu plusieurs coups de couteau dans divers endroits de son corps à Menzah 6. En essayant de la défendre, l’amie de la victime a été à son tour attaquée par l’époux.

Une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances de ce meurtre.

Le 29 avril, le corps d’une trentenaire, portant des stigmates de violence, a été admis à l’hôpital de Monastir.

Le mari de la défunte, s’est ensuite présenté à la police pour déclarer qu’il est responsable de la mort de sa femme expliquant qu’il voulait juste la traiter d’un envoûtement! Et ce, en plongeant sa main profondément à l’intérieur de sa gorge.

La direction générale de la sûreté nationale a annoncé, le 03 mai dernier, l‘arrestation d’un chauffeur de taxi à l’Ariana qui a intentionnellement percuté une femme près du marché de la région.

6 jours après, un autre drame a eu lieu à Kondar, relevant du gouvernorat de Sousse, où une femme enceinte âgée de 30 ans et mère de 3 enfants a été violemment étranglée par son mari.

Pendant cette même semaine, le ministère de tutelle a annoncé avoir reçu une alerte concernant la mort suspecte d’un nourrisson à Tunis faisant savoir que la mère, âgée de 37 ans, a été prise en charge.

La femme a été, elle même victime de violence, et a révélé que son son mari avait l’habitude de les violenter, elle et son bébé. Le jour du drame où le nourrisson a succombé, le père a voulu l’enterrer, sans en informer les autorités, avant de prendre la fuite.

Aswat Nissaa a essayé d’effectuer le recensement des féminicides et a exposé les résultats de ses recherches via le graphique suivant;

Peut être une image de ‎texte qui dit ’‎الحصيلة الحالية لجرائم قتل النساء لسنة 2023 طريقة القتل الجاني طعنا بالسكين الضحية زوجها كسر في الجمجمة التاريخ والمكان قريب أمها زوجة مجهول 01/02 بوحجلة فتاة قاصر مجموعة مهاجرين ذبحا -02/03 زغوان امرأة مهاجرة زوجها طعن بالسكين -02/07 تونس زوجة زوجها إلقاء في البئر 02/20 صفاقس زوجة زوجها طعنا بالسكين 03/02 دوا هيشر زوجة زرجها خنقا -03/15 صفاقس زرجة زوجها طعنا بآلة حادة gد-04/01 هيشر زوجة زوجها #قتلبالنييياء؟ #ASWAT_NISSA #ASWAT #AFC 04/12 القيروان زوجة 51/40-المنزه- المنزه‎’‎

L’association en question compte, en effet, 15 féminicides depuis le début de l’année courante dont 12 cas de violence conjugale, c’est ce qu’a affirmé la présidente Sarra Ben Saïd au micro de Tunisie Numérique.

Elle a déclaré que 80% des femmes concernées ont fait le choix de déposer des plaintes et saisir la justice pour mettre fin à leur souffrance.

Neila Zoghlami, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a, pour sa part, indiqué que le nombre s’est élevé à 17 cas!

Notre intervenante a considéré qu’il ne s’agit plus de cas isolés mais plutôt d’un phénomène dangereux qui nécessite une intervention urgente de la part de l’Etat.

8 féminicides sur 9 ont été perpétrés par un membre de la famille et dans 5 affaires, l’auteur est le conjoint. Les causes sont généralement liées à la séparation, le divorce, la jalousie et autres… La plupart des femmes victimes de féminicide sont le plus souvent âgées entre 19 et 30 ans. La majorité sont mariées avec des enfants.

 46 % des victimes ne travaillent pas ou sont dans les professions vulnérables, comme pour les  femmes de ménage ou des femmes travaillant dans des usines, etc. Et d’ajouter que les féminicides sont généralement commis dans les lieux où réside la femme, disons dans 61% des cas.

On a aussi essayé de voir si l’agresseur a des antécédents psychiatriques, judiciaires ou s’il consommait de l’alcool, mais on a trouvé que 3 % uniquement des auteurs de violence consommaient de l’alcool et des drogues. La majorité des auteurs n’ont aucun antécédent, ni judiciaire, ni psychiatrique.

Il faut mentionner que, d’une façon générale, les données ne sont pas facilement accessibles raison pour laquelle il faut qu’il y ait une base de données crédible pour pouvoir prendre les mesures nécessaires” nous a expliqué la Cheffe du bureau de l’UNFPA Rym Fayala.

D’ailleurs, nous nous sommes heurtés à un mûr de silence en essayant d’avoir des chiffres officiels sur les féminicides. Tunisie Numérique a essayé de solliciter, à maintes reprises, des réponses auprès des responsables du ministère de la Femme, mais en vain….

La société civile se mobilise…

Le 1er novembre 2022, le collectif féministe, composé de plusieurs associations et organisations actives dans la défense des droits des femmes, a organisé une conférence de presse en vue de dénoncer le silence de l’État et la défaillance de ses institutions dans la prise en charge de femmes victimes de violence.

Un communiqué a été également signé par des associations féministes et des activistes dénonçant l’indifférence et l’inaction de l’État tunisien face aux multiples assassinats de femmes par conjoints et ex-conjoints relayés par les médias ou les associations tout en réclamant un comptage officiel des féminicides.

A ce propos, les parties concernées ont souligné l’importance de disposer des données de qualité afin de connaître les motivations et les circonstances des meurtres des femmes.

A l’occasion des 16 jours d’activisme de l’année 2022, des organisations ont mis dans leurs agendas la sensibilisation contre les féminicides.

Le ministère de la Femme appelle à la concertation des efforts! 

Le ministère de la Femme a affirmé que les cas de violence faites aux femmes en Tunisie sont en augmentation.

Selon la même source, plus de 900 appels sur des cas de violence, dont 654 l’agresseur est le mari, ont été reçus sur le numéro vert 1899.

Le ministère a, par ailleurs, appelé à la concertation des efforts pour le rejet catégorique de toutes les manifestations de normalisation avec la violence à l’égard des femmes ainsi que le renforcement de l’application de la loi n°58.

Le 15 mai dernier, la ministre Amel Haj Moussa a affirmé que son département est en train de préparer une étude sur les féminicides considérant que ce phénomène menace la famille et la société tunisienne.

Défaillance de l’Etat au niveau de la prise en charge des victimes

Malgré ces réactions, les militants et défenseurs des droits des femmes comptent des défaillances en série par les autorités compétentes.

Pour eux, les féminicides de Refka et de Wafa, ainsi que les autres féminicides conjugaux auraient pu être évités. Et c’est ce qui a suscité davantage leur colère et les a mobilisé…

Les associations et les activistes pointent du doigt les défaillances et les dysfonctionnements dans la prise en charge des victimes par les acteurs étatiques concernés : les plaintes classées sans suite ou restant sans issue pendant un délai déraisonnable, l’absence de culture de protection alors que les dispositifs existent, l’ordonnance de protection et les mesures de protection policière sous-employées, le manque de coordination entre les intervenants, le nombre de places d’hébergement d’urgence limité, la dangerosité des auteurs de violence non prise en considération, les jugements tardant à être rendus, les décisions clémentes au profit des agresseurs, les risques mal mesurés, le sentiment d’impunité bien ancré et l’arsenal juridique mal appliqué” selon l’UNFPA.

Elles expliquent, en effet, que les auteurs sont rarement sanctionnés par une mesure d’éloignement policière et les unités spéciales se contentent parfois d’un engagement de la part de l’auteur des violences de ne plus agresser la victime.

Que faut-il faire alors pour mettre fin à la violence faite aux femmes ? 

Pour cela, il est grand temps que les pouvoirs publics mettent en place un plan d’action  adéquat capable de lutter contre cette tragédie et consolider davantage l’approche protectrice de la loi 58-2017.

A part la nécessité de créer une base de données sur les cas de violence et le fait de rendre public les statistiques sur les affaires de féminicides, le gouvernement tunisien est appelé à renforcer la formation de la police, des juges et des procureurs aux exigences de la loi 2017-58 et de les amener à rendre des comptes lorsqu’ils s’abstiennent d’enregistrer des plaintes, d’émettre et d’appliquer des ordonnances de protection et d’enquêter sur les affaires de violences contre les femmes, selon l’UNFPA.

Cela suppose aussi de sensibiliser aux services de soutien destinés aux victimes de violence (particulièrement conjugale) et de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d’éducation du grand public, pour faire évoluer les attitudes sociales favorables à la violence à l’égard des femmes, d’après la même source.

N’ayez plus peur, ne pardonnez plus les agressions, et ne retirez jamais vos plaintes…

Si vous sentez que vous êtes en danger, n’attendez pas les menaces de mort.

Demandez de l’aide et n’ayez pas peur du jugement des autres…

Appelez le numéro vert: 1899, contacter les services concernés ou demandez la prise en charge pour protéger votre vie…

 

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