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Quand Erdogan copie Saied : 3 ans de prison pour “fausses nouvelles”…

Quand Erdogan copie Saied : 3 ans de prison pour “fausses nouvelles”…

Le président tunisien, Kais Saied, ne pensait certainement pas que son décret-loi du 16 septembre 2022 ferait des émules jusqu’en Turquie, et pourtant. Le Parlement turc, tout acquis à la cause du président Recep Tayyip Erdogan, vient de lui fabriquer un outil sur mesure pour atomiser le peu qui reste de l’opposition : Une loi pour criminaliser la diffusion de “fausses nouvelles“, avec des peines de prison ferme, jusqu’à 3 ans. C’est ce qu’a trouvé le pouvoir pour conjurer les résultats catastrophiques en perspective aux élections de juin 2023, pour cause de bilan économique désastreux…

Un mauvais réflexe, toujours le même

C’est bien connu : Quand les autorités sont débordées par la mauvaise conjoncture et qu’elles n’ont aucune solution pratique pour soulager les populations, elles se crispent et la main de fer devient très tentante pour museler toute contestation. Et de la contestation il y en a forcément quand le pays fait face à la pire crise économique de son histoire, à une monnaie nationale qui se déprécie à vitesse grand V, à une inflation à un niveau sans précédent (83,45% sur un an le mois dernier), etc. Tout ça évidemment ne peut pas être bon pour Erdogan, qui remet en jeu son fauteuil aux prochaines élections générales. Alors le réflexe de l’autocratie, qui n’est jamais loin avec lui, reprend le dessus.

Museler, écraser, éliminer toutes les têtes qui dépassent, encore plus. Comment interpréter autrement cette loi sur la prétendue désinformation, officiellement dénommée “Loi sur la presse” et que l’opposition a baptisée “Loi de censure“. “Propagation d’informations fausses ou trompeuses contraires à la sécurité intérieure et extérieure du pays et susceptibles de porter atteinte à la santé publique, de troubler l’ordre public, de répandre la peur ou la panique au sein de la population“, c’est ce que dit l’Article 29 du nouvel instrument d’Erdogan, rapporte Ouest France. On dirait presque le texte inventé par Kais Saied pour calmer la bronca médiatique qui accompagne chacun des actes qu’il pose…

La Tunisie n’est pas la Turquie

Sauf qu’en Tunisie un tel dispositif est inopérant. La Tunisie n’est pas la Turquie, les Tunisiens ne sont pas les Turcs. Par ailleurs j’ose croire que Saied, quoi qu’en disent ses détracteurs, n’a pas la même mentalité qu’Erdogan, n’est pas dans le même état d’esprit. Et même si la tentation turque pointait le bout de son nez, la société civile tunisienne et les opposants – ils sont très actifs même si leur popularité tend vers zéro, à part l’infatigable et vaillante Abir Moussi – ne laisseraient pas faire.

Jusqu’à la preuve du contraire, il n’y a pas en Tunisie une pléthore de journalistes et activistes de la société civile incarcérés pour des délits d’opinion. Certains ont eu maille à partir avec la justice mais à chaque fois ça finit par des relaxes ou non lieu, non pas parce qu’on serait plus vertueux en terre tunisienne mais parce que tout simplement la pression locale et étrangère – il ne faut pas la minorer – est trop forte. Rien de tout ça en Turquie…

Le boomerang

Erdogan est certes celui qui s’active pour soulager les pays en voie de développement mais c’est aussi celui qui a changé le visage de la démocratie dès qu’il a pris les rênes en Turquie, en 2014. Tout a mué depuis, avec des dérives autoritaires qui sont montées crescendo, surtout depuis le coup d’Etat avorté de 2016 qu’il a vite collé à son ennemi juré, Fethullah Gülen. Depuis il traque sans relâche ses partisans, les débusque partout, les vire par dizaines de milliers – plus de 120 000 – de la fonction publique s’il ne les met pas en prison – quelque 50 000. Il en a profité pour mettre dans le même sac tous les journaux qui ne vont pas dans le sens qu’il veut et ils sont nombreux. Pour finir par cette infâme “Loi sur la presse“…

S’il suffisait de réprimer pour solutionner ses problèmes ça se saurait. Peut-être qu’Erdogan ne le sait pas encore mais ça ne va pas tarder. Il a multiplié les grands écarts entre Israël et la cause palestinienne ; il a fait la paix avec ses ennemis historiques du Golfe au nom de gros investissements ; il a même avalé l’affront suprême en lavant de ses pêchés le prince héritier saoudien, qu’il a accusé d’avoir envoyé ses sbires pour assassiner atrocement à Istanbul le journaliste Jamal Khashoggi, en 2018. Etc. Tout ça Erdogan l’a fait pour sauver son économie et au passage son fauteuil. Rien n’y a fait. L’acte qu’il vient de poser pour écraser le peu d’opposants qui restent est voué au même destin : Pschitt.

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