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Par Hadi Sraïeb – Une énième loi d’Amnistie…en pleine pandémie et saison estivale !

Par Hadi Sraïeb – Une énième loi d’Amnistie…en pleine pandémie et saison estivale !

Une nouvelle amnistie passée en quasi catimini et dans des conditions rocambolesques ! Voilà le spectacle atterrant et insensé que vient de nous offrir le gouvernement et ses soutiens parlementaires !

Le Ministre des finances en collusion avec des membres de l’assemblée a représenté sous une forme amendé, le texte de loi dit de « Réconciliation National » de 2016, défendue à l’époque par le Président Essebsi et le gouvernement Fakhfakh.

Le stratagème utilisé, a consisté cette fois-ci, à dissimuler cette amnistie de fraude fiscale et de blanchiment de des capitaux, sous d’autres dispositions bien plus consensuelles telles que l’ouverture de comptes en devises ou bien encore d’un accès facilité au logement.

Une manœuvre grossière et obscène en plein été et de surcroit dans une situation sanitaire catastrophique.

A l’évidence, ce gouvernement comme ses prédécesseurs n’a pas oublié leur cours de communication de 1ere année, lorsqu’il s’agit de faire passer des dispositions impopulaires, il convient de les recouvrir de mesures plus largement attendues et acceptées et de choisir le moment le plus approprié pour les présenter, en l’occurrence lorsque l’opinion publique est en vacance !

Honte à ces gouvernements qui s’acharnent à préserver un ordre social et économique désastreux et inique où continuent à prospérer et en toute impunité, une large frange des hommes d’affaires et autres entrepreneurs délictueux. Sans véritablement énoncer toutes les règles de cette énième amnistie, le texte se borne à fixer une « sanction » forfaitaire sous la forme d’un prélèvement libératoire de 10%.

Si les gouvernements successifs, ce dernier n’échappant pas à la règle, ont été taxés de laxistes et d’inefficaces, force est tout de même de constater leur persévérance frénétique, leur acharnement obstiné, à faire passer cette amnistie ! Pas moins de 3 refus : en 2016, 2017 puis 2019 !

Le Ministre des Finances fanfaronne à propos de dispositions « révolutionnaires » alors qu’en réalité il a réussi là où ses devanciers ont échoué: « Noyer le poisson » de cette amnistie au demeurant délétère socialement et contre-productive économiquement.

Les justifications avancées restent les mêmes.

Une partie des hommes d’affaires et autres investisseurs seraient paralysés par des procédures judiciaires tatillonnes, incertaines quant à leurs issues, et bien trop longues.

La Justice (fiscale et pénale) ralentirait le processus de réconciliation, d’un côté, et retarderait l’indispensable amélioration du « climat des affaires » aujourd’hui pernicieux qui freine toute initiative et gèle toute velléité d’investir, de l’autre.

Ces nouvelles dispositions (sic) auraient donc vocation à restaurer la confiance des tunisiens entre eux, comme vis-à-vis de leur administration et de leurs hommes d’affaires, fer de lance de la création de richesses. En clair, des articles de loi inspirés par le seul pragmatisme et l’efficacité. Exit donc tout procès d’intention !

Il ne manque d’ailleurs pas de parlementaires (110 excusez du peu), d’experts auto-proclamés, ni de médias complaisants pour justifier et soutenir cette initiative. Ces articles de loi seraient un passage obligé pour débloquer une situation de quasi immobilisme qui n’a que trop duré. Permettre une reprise de l’investissement qui favoriserait un retour à la croissance.

Cette loi dissimulée au milieu d’un fatras de prescriptions en limite de populisme, aurait aussi l’avantage de donner une bouffée d’oxygène aux recettes fiscales de l’Etat qui font si cruellement défaut. Last but not least cette loi aurait aussi pour effet de faciliter le rapatriement de capitaux qui soulagerait la balance des paiements !

Cette loi dissimulée impudemment nommée loi de relance économique (sic) et la régularisation des infractions de change, ressemble comme deux gouttes d’eau à une loi d’amnistie fiscale et pénale…qui ne dirait pas son nom. Elle ne diffère en rien des 4 lois (97, 2002, 2004, 2006) qu’a connu le pays en une quinzaine d’années. Car il s’agit bien d’une nouvelle loi d’amnistie (en grec amnistie signifie oubli), loi qui se reconnait à ses trois dimensions caractéristiques: sa durée (quelques mois), son étendue (le type de contribuables admis), sa nature (abandon des poursuites de pénalités et des sanctions pécuniaires, liées à des infractions fiscales douanières ou de change (toutes liées entre elles), adossées à une soustraction des poursuites judiciaires).

De fait l’exacte réplique de la loi n° 25-2006 du 15 mai 2006 ! Mais dernière astuce et non des moindres, les modalités effectives seront arrêtées par Décrets !! On croit rêver ! Le gouvernement a bien anticipé les critiques du bon peuple !

Rien n’est précisé et donc laissé au « bon vouloir » d’une commission ad hoc ! Exit donc la visibilité et la publicité ! Le reste de la population en conformité avec ses obligations, n’en sera pas témoin !

Du coup, ce qui fait problème est cette répétitivité des amnisties (une tous les quatre à cinq ans).

Sa fréquence régulière ne décourage plus les comportements fautifs. Les « free riders » ou passagers clandestins (fraudeurs pour utiliser un terme commun) se voient offrir une occasion de consolider leur arbitrage habituel (bénéfice/coût) entre leur utilité (de continuer à dissimuler) et leur aversion au risque (sanction négociée) et ainsi s’offrir à moindre frais une nouvelle immunité.

Cette remise gracieuse (car il s’agit bien d’un fait du Prince) rend-elle les fraudeurs plus vertueux ? Surement pas, semble dire une abondante littérature de recherche dans le domaine des finances publiques qui étudie toutes les amnisties sous toutes leurs coutures et leurs conséquences mais dont il faut croire que ni le ministre ni ses conseillers n’ont eu connaissance ! Alors choix politique ?

Cette littérature scientifique s’accorde à dire que l’utilisation répétée de cette pratique corrompt (pardonnez l’expression) le message véhiculé par l’Etat et les autorités fiscales.

L’habitude prise d’amnisties successives rate sa cible. Ces travaux démontrent que nombre de fraudeurs (individus ou entreprises) admis au bénéfice de cette loi sont des récidivistes ayant bénéficiés d’amnisties antérieures…sauf, il est vrai, que nous n’en saurons rien ! Cela n’améliore donc pas le taux de conformité.

Les candidats connaissant les détails de la procédure de tractation ne rejoindront pas la conformité intégrale. Pour preuve aussi, ces publications internationales, les plus sérieuses qu’il soit (OCDE américaines européenne), montrent qu’en dépit des amnisties la fraude fiscale comme l’évasion des capitaux augmentent inexorablement d’année en année.

L’efficacité d’une sanction (négociable) est sans effet, et par là sur une dissuasion future, car elle supposerait une internalisation de « normes de conformité » qui comme on le sait et pour l’heure sont tolérantes (doux euphémisme) envers cette fraude.

Cette nouvelle amnistie ne va donc pas dans le sens ni d’éduquer les récidivistes ni de rassurer les contribuables en règle, mais va être comprise comme parasitant les efforts de lutte contre la fraude et l’évasion.

C’est donc le mécanisme tout entier de la morale majoritaire (fondée sur cette internalisation collective des normes de conformité) qui est ainsi découragée et reléguée aux oubliettes, mécanisme qui, -à l’inverse-, aurait dû être reconstruit pas à pas (notamment par une véritable réforme fiscale) afin qu’il s’exerce comme nouvelle forme du contrôle social.

Cette loi dite de régularisation est donc le « parfait contraire » de ce qu’il aurait fallu faire !

Quelle incroyable légèreté du gouvernement et de son entourage (y compris de la BCT), qui sont pourtant et assurément au fait de ces réalités. Quoique ? Ils prennent le risque, une nouvelle fois, de se voir pointer du doigt par le GATFI-FATF, pour non-respect des engagements pris en matière de procédures d’assistance mutuelle entre administrations fiscales et financières.

A analyser l’impact des nombreuses amnisties autour du monde, les études internationales mettent en évidence des résultats toujours les mêmes, décevants tant au plan fiscal que financier: Un faible rendement fiscal, au mieux autour de 5% des recettes fiscales, et un rapatriement quasi insignifiant, dérisoire de l’ordre de 1% à 2% de l’investissement national, en moyenne ! Il suffit de consulter ces travaux de scientifiques sur internet pour être édifié ! S’agissant de pays en développement la Banque Mondiale le confirme (tiens donc ?) Que ne l’a-t-elle dit plus tôt !

Mais alors pourquoi cette persévérance à vouloir imposer ces mesures économiquement inefficientes socialement réprouvables et moralement irrecevables ! C’est donc un choix politique !

Probablement et comme partout ailleurs sous la pression de la communauté des affaires, -autrement dit des classes dominantes-, qui voit dans cet amnistie un préalable. Une sorte de fenêtre d’opportunité de bénéficier de ce droit de grâce qui viendra leur octroyer une immunité et un « retour aux affaires » à moindres frais ! Car il y aura bien transaction à l’abri des regards indiscrets.

Car une fois encore et au-delà des effets attendus de court terme, cette loi votée suite à des arrangements et des accommodements discrets de partis pourrait bien avoir des effets de long terme bien plus dévastateurs qu’un manque à gagner immédiat plus que chimérique !

Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.

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