Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, continue son “Opération Mains Propres” pour débarrasser le pays d’une corruption qui a prospéré sur le terreau des aides financières massives. La nature humaine étant ce qu’elle est, partout dans le monde, cette intransigeance avec ce fléau s’impose pour faire bonne figure devant les soutiens américains, devant les autres alliés de l’OTAN et aussi pour que le dossier d’adhésion à l’Union européenne soit sans tache. C’est cette purge nécessaire qui a fauché le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiï Reznikov. Zelensky propose qu’il soit remplacé par Roustem Oumerov, un Tatar musulman. Un président juif – “un nazi” crie la propagande russe – qui désigne un musulman à un poste clé, la boucle est bouclée. L’Ukraine gagne au change, à bien des égards…
Un os dans la gorge de Poutine
Certes cette désignation devra être actée par le Parlement mais ça ne devrait être qu’une formalité. Ce qui compte à ce stade c’est le signal fort émis par Kiev, à l’intérieur comme à l’extérieur. Oleksiï Reznikov ne pouvait plus se cramponner à son fauteuil. Trop dommageable pour l’image d’un pays qui a déjà les yeux rivés sur son futur, aux côtés des pays cités en exemple. Un ministre accusé d’avoir trempé dans des surfacturations d’uniformes, alors que ses soldats font la guerre, n’a pas sa place dans l’Ukraine de demain.
Ce sont des hommes de la trempe d’Oumerov qu’il faut. D’abord pour se défaire de l’invasion russe, et ensuite pour bâtir un avenir radieux à ce peuple qui paye cher ses aspirations pour la liberté, la prospérité, les idéaux démocratiques, le bonheur tout court. Autant de choses qui séparent la Russie et l’Ukraine, ce qui vaut à cette dernière cette entreprise funeste lancée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, un geste insensé qui n’a généré que des souffrances, des deux côtés et qui sans doute n’arrangera en rien les affaires du maître du Kremlin, quoi que dise sa propagande
Le député – depuis 2019 – et futur ministre ukrainien de la Défense, Moscou le connait bien et pour cause il a piloté plusieurs rounds de négociation avec la Russie. A noter qu’au Parlement il était co-président de la Plateforme de Crimée, qui centralisait les initiatives diplomatiques internationales pour remettre la main sur la péninsule annexée par la Russie en 2014. Ce dignitaire de la communauté des Tatars est l’homme qu’il faut pour croiser le fer avec Poutine.
A souligner que Roustem Oumerov, 41 ans, a conseillé durant de nombreuses années le leader historique des Tatars de Crimée, Mustafa Dzhemilev. Quand la Russie a voulu graver sur le marbre l’annexion de la Crimée à travers un simulacre de référendum les Tatars, qui représentent 12 à 15% de la population de la Crimée, ont massivement boycotté le vote. Moscou a alors vu rouge et a dissout la “Mejlis”, l’assemblée traditionnelle de la minorité musulmane tatar. De nombreux élus finiront en prison.
Oumerov était également à la manoeuvre dans des négociations discrètes avec Moscou pour s’échanger des prisonniers ou aménager des corridors sécurisés afin que les civils soient évacués…
De la Turquie à l’Arabie saoudite Oumerov est l’homme de la situation
Un autre partenaire de Poutine connait bien le futur ministre ukrainien de la Défense : le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Oumerov faisait partie de la délégation ukrainienne qui a négocié en juillet 2022 à Istanbul, avec la Russie, l’Accord sur les céréales. Moscou a déchiré en juillet dernier ce document clé, avec le fracas des bombes en plus, au motif que les Occidentaux barrent la route à son commerce et à ses transactions financières. Mais Erdogan ne désespère pas de tordre le bras à Poutine.
Le président turc est l’un des rares à pouvoir parler en même temps avec la Russie (et même à lui dicter sa loi, rappelons-nous l’avion de combat russe détruit par la Turquie en 2015) et l’Ukraine. C’est d’ailleurs à ce titre qu’Erdogan a arraché au forceps l’Accord sur les céréales et qu’il est retourné à Moscou hier lundi pour le reconduire. Il se dit que pour le moment le Kremlin maintient la porte fermée, réitérant les mêmes exigences ; mais il se dit aussi que la Turquie a obtenu des gages qu’elle garde secrets pour le moment…
Mais ce qui est certain c’est que l’Occident n’accordera pas à Moscou tout ce qu’il demande, et Oumerov y veillera personnellement. Si Poutine a pu contourner le verrou des sanctions pour s’acheter presque tout ce qu’il veut afin de faire tourner son industrie militaire qui lui permet de semer la mort et la désolation chez le voisin ukrainien, que dire si les Occidentaux lui ouvrent entièrement la porte. Le Kremlin se berce d’illusions.
S’il y a un autre dossier dans lequel le futur ministre ukrainien de la Défense peut être d’un grand secours c’est la percée notable de Kiev dans le monde arabe. Rappelons qu’en mai 2023 le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, avait convié le président ukrainien au Sommet de la Ligue arabe à Djeddah. Dans ces choses-là la symbolique compte beaucoup et ça n’a pas échappé à Zelensky. Il n’y a pas meilleure preuve de tolérance religieuse qu’un musulman à la tête de la Défense ukrainienne. Il n’y a pas meilleur ambassadeur dans le monde arabe que Roustem Oumerov.
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