Dans ce bouillonnement mondial, avec une conjoncture d’une incroyable complexité, surtout depuis la guerre en Ukraine, il est très difficile de se soustraire à l’obligation de choisir un camp. Très peu de puissances émergentes ont la possibilité de résister à la pression des grands, d’imposer à l’Occident le Non-alignement et le droit de ratisser large, de manger à tous les râteliers. L’Arabie saoudite en a les moyens et monte en puissance ; la Turquie également navigue depuis belle lurette dans les eaux de son choix, ça ulcère ses amis de l’OTAN mais Recep Tayyip Erdogan n’en a cure. Parmi ces puissances émergentes capables de tenir tête aux pays alignés il faudra compter l’Algérie…
Alger l’avait dit haut et fort en septembre 2022 à l’ONU, et depuis les actes suivent. Le président Abdelmadjid Tebboune s’est rendu en juin dernier en Russie d’où il a exposé les grandes lignes de l’Algérie de demain, puis il a mis le cap sur la Chine où il a scellé un pacte sur un investissement colossal de 36 milliards de dollars. Ensuite le chef de l’Etat algérien a dépêché aux USA son ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, pour là aussi y tracer les contours de méga projets qui donneront un autre visage à son pays. Ce grand écart entre des puissances rivales il faut en avoir les moyens et manifestement Alger les a.
Ahmed Attaf a répondu à ceux qui continuent de s’offusquer de cette géopolitique décomplexée et pragmatique, notamment les liens entre Alger et Moscou. Il a réitéré l’«attachement» de l’Algérie à sa politique de Non-alignement, l’essence même de sa diplomatie. «Nos relations avec la Russie ne sont pas exclusives de toutes les relations de qualité [et] d’amitié avec d’autres pays», a assumé Attaf dans un entretien avec Al-Monitor, un site domicilié à Washington et spécialisé dans l’actualité au Moyen-Orient.
Pourtant les pressions ne manquent pas. En octobre 2022 des membres du Congrès américain avaient adressé une lettre au secrétaire d’État américain Antony Blinken pour faire part de leurs “inquiétudes quant aux liens croissants de l’Algérie avec la Russie” et pour exiger “des sanctions contre les responsables du gouvernement algérien pour un accord sur les armes avec Moscou“. Mais Alger campe toujours sur sa neutralité traditionnelle et met en avant une «solution politique», comme pour tous les conflits, sous l’égide des Nations Unies.
Le chef de la diplomatie algérienne a fait savoir que Moscou a accepté son offre de médiation et qu’il reste à «convaincre l’Ukraine de répondre à cela», même si Kiev ferme la porte pour l’instant. Mais quoi qu’il en soit Alger n’enterrera pas la «déclaration de partenariat stratégique» conclue à Moscou en juin dernier lors de la visite de Tebboune. La Russie restera le principal fournisseur d’armes de l’Algérie, ce qui n’empêche pas Alger de faire affaire avec le Royaume-Uni, la France, les États-Unis, l’Allemagne, la Chine…
Ahmed Attaf a dit que les Américains, des «amis», savent que les liens entre l’Algérie et la Russie, bâtis il y a 60 ans, ne peuvent pas être brisés comme ça et l’Algérie «ne peut pas faire de compromis» sur ses «besoins essentiels» et ses «préoccupations de sécurité et de défense». Il a asséné qu’«aucun pays» n’a fait une croix sur les équipements militaires russes parce qu’il y a des sanctions occidentales.
«Le dialogue sur les questions de défense et de sécurité, la diversification de nos équipements militaires est traité très discrètement avec nos partenaires américains, et il se déroule normalement», a-t-il confié, en révélant que les relations entre les deux pays sont à un «tournant». Il a ajouté que ces liens se sont considérablement consolidés «au cours des deux dernières années en termes de dialogue politique», comme l’illustre la cadence des visites de responsables américains en Algérie.
Alger défend le multilatéralisme et renforce ses partenariats avec tous ceux qui sont «prêts à répondre à ses besoins (…). Si c’est la Chine, c’est la Chine. Si c’est la Russie, c’est la Russie. Si ce sont les États-Unis, ce sont les États-Unis. La chose la plus importante est notre intérêt national», a dit fermement Attaf, pour fermer définitivement la porte aux détracteurs de cette realpolitik que Tebboune a imposée à ses partenaires.
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